En cas de déficit des échanges, quelles solutions préconisez-vous pour rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande?
Au cours des 30 dernières années, l'économie française a connu la situation de fort déficit extérieur lors du choc pétrolier de 1974-75 et lors de la relance du gouvernement Mauroy en 1981-82. Examinons les politiques économiques menées dans ces deux cas de figure.
• Le choc pétrolier de 1974-75. Il a eu pour conséquence d'accroître le coût des consommations intermédiaires (des produits pétroliers) et donc de réduire automatiquement la valeur ajoutée créée, d'où une évolution négative du PIB, c'est-à-dire une récession. En même temps, le renchérissement du prix des produits pétroliers a conduit à un déficit extérieur. Autrement dit, une partie de la valeur ajoutée produite en France est allée vers les pays de l'OPEP. C'est pourquoi on a dit que le choc pétrolier était une "ponction" sur la valeur ajoutée du pays.
Pour résoudre le problème, la première solution est que les entreprises réduisent le coût des autres consommations intermédiaires (du même montant que le surcoût pétrolier) et notamment le coût des autres matières premières importées : la valeur ajoutée revient alors à son niveau antérieur et le déficit extérieur est annulé. Cette solution n'est guère réaliste, car on voit mal les pays qui fournissent les autres matières premières accepter à leur tour une ponction de valeur ajoutée en baissant de façon substantielle leur prix de vente...
La seconde solution est de produire davantage (accroître le PIB) tout en rétablissant le déficit extérieur. Cela suppose de pouvoir exporter davantage. Ce qui suppose d'être davantage compétitif pour gagner des parts de marché à l'étranger, ce qui est bien difficile lorsque les coûts de production augmentent... De plus, si tous les pays affectés par le choc pétrolier cherchent à faire de même, les marchés à l'exportation risquent d'être vite saturés.
La troisième solution est de réduire la demande intérieure pour l'ajuster à la baisse du PIB (c'est-à-dire à la baisse des revenus distribués) : réduire la consommation des ménages et/ou des administrations et/ou des entreprises (réduire C+I). En même temps, pour lutter contre le déficit extérieur, il faut inviter la demande à se tourner vers les produits nationaux pour limiter les importations et chercher à produire en utilisant moins de produits pétroliers.
Le gouvernement Chirac (1974-1976) n'avait pas opéré de choix clairs (plan de stabilisation puis plan de relance). Face à la persistance de la crise, c'est pour la troisième solution qu'a tranché le gouvernement de Raymond Barre en 1976 : politique de rigueur et accélération de la production d'énergie sous forme nucléaire. Il restait à trancher sur les agents économiques qui allaient supporter la rigueur : les ménages, l'Etat ou les entreprises ? C'est ici que les choix idéologiques (et la doctrine économique à laquelle on se réfère) interviennent. Conforme à sa vision libérale de l'économie (cf. point 1.3), le gouvernement Barre a cherché à favoriser l'offre : stimuler l'investissement pour moderniser plus vite l'appareil de production, être ainsi plus compétitif pour atténuer la contrainte extérieure et avoir une croissance suffisante pour diminuer le chômage Pour cela, un préalable : modifier le partage de la valeur ajoutée au profit des entreprises. Cela s'est traduit par la modération salariale (favorisée par la montée du chômage et permettant en outre la baisse de l'inflation) et la limitation des dépenses des administrations. Ces mesures se sont accompagnées de campagne de sensibilisation aux économies d'énergie (changement des heures d'été et d'hiver, "chasse au gaspi"), d'incitation à l'achat de produits nationaux ("achetez français") et de stimulation des exportations (notamment agricoles, le "pétrole vert") et de la production nucléaire. La célèbre formule du Chancelier Schmidt résumait à l'époque cette politique : les profits d'aujourd'hui font les investissements de demain et les emplois d'après-demain. Cette politique a-t-elle été efficace ? Il est bien difficile de répondre car deux années plus tard intervenait le second choc pétrolier : l'après-demain restait marqué par le chômage...
• La relance de 1981-82. L'analyse du gouvernement Mauroy était d'inspiration keynésienne. Il fallait soutenir la demande en relançant la consommation des ménages, notamment ceux aux revenus modestes, et des administrations (embauches de fonctionnaires). Cela devait stimuler la production et par suite l'embauche. Devant l'amélioration de la conjoncture, les entreprises allait être incitées à investir, d'où une vigoureuse croissance (par C+I). Avec une croissance plus forte, les rentrées fiscales allaient être plus importantes, et donc le déficit budgétaire initial allait être vite résorbé. Certes, on s'attendait à ce que les importations s'accroissent fortement avec la reprise de la production. Mais les prévisions faisaient état d'une reprise mondiale imminente, ce qui devait profiter aux exportations.
La reprise de la croissance mondiale s'est produite plus tardivement que prévue (1984). Par ailleurs, les autres gouvernements européens, en majorité libéraux, maintenaient une politique de rigueur. Du coup, la France s'est trouvée être le seul pays à pratiquer une relance. Or, la situation des entreprises françaises avaient été largement sous-estimée : les "experts" n'avait pas vu que les entreprises françaises n'avait pas la capacité de répondre à un surcroît de demande (endettement important notamment). Au final, l'économie française s'est retrouvée dans une situation impossible : environnement international qui déprimait les exportations, afflux d'importations pour satisfaire la demande interne que les entreprises françaises ne pouvait satisfaire, inflation par la demande, croissance moindre que prévue qui ne pouvait combler le déficit budgétaire... Dès la mi-1982, le gouvernement se résigne à faire machine arrière, en instaurant à nouveau une politique de rigueur face à la dégradation des comptes extérieurs et intérieurs.
Double ironie de l'histoire : d'une part, la reprise internationale est finalement intervenue en Europe en 1984-85. La France était cette fois le seul pays à imposer une cure d'austérité à son économie, l'empêchant ainsi de profiter pleinement de la reprise mondiale qui allait être forte... D'autre part, la politique de rigueur de la gauche a été plus sévère que sous le gouvernement Barre (le revenu primaire des ménages a quasiment stagné jusqu'en 1985).
Mais assainie, munie d'un franc fort et (presque) libérée de la contrainte extérieure, l'économie française allait bénéficier pleinement de la croissance mondiale de la fin des années 80.
NB. Dans les deux cas, nous n'avons pas évoqué les aspects monétaires (inflation, déséquilibre des changes) qui seront introduits au point suivant.