Environnement économique et social
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La théorie de la zone monétaire optimale (ZMO) et ses implications pour le processus d'intégration européenne

La théorie de la zone monétaire optimale éclaire les principaux enjeux économiques de l'intégration européenne.

a) Problématique et définition d'une ZMO

Un régime de taux de change flexible donne une certaine souplesse dans la gestion des déséquilibres économiques. Ainsi, en laissant se déprécier sa monnaie, un pays peut relancer ses exportations et son économie pour combattre le chômage ou redresser le déficit de ses échanges extérieurs. Cependant, les taux de change fixes apparaissent tout aussi voire plus avantageux. La question est alors de savoir, en cas de déséquilibres économiques, si l'on peut trouver des mécanismes d'ajustement autres que la flexibilité du change pour conserver les avantages d'un régime de taux de change fixes. Autrement dit, est-il possible d'instaurer et de conserver une monnaie unique en cas déséquilibres entre pays de l'union monétaire ? La réponse est positive si ces pays forment une zone monétaire optimale. Une ZMO existe dès lors que les déséquilibres entre pays de la zone monétaire peuvent être corrigés sans variation des taux de change bilatéraux.

b) Conditions d'une ZMO

C'est Mundell, prix Nobel d'économie 1999 et auteur du triangle d'incompatibilité, qui a posé en 1961 les conditions de la possibilité d'une ZMO : il faut la mobilité parfaite des facteurs de production (travail et capital). Soient un ralentissement de la croissance et une augmentation du chômage dans un pays A de l'union monétaire. En l'absence du recours possible à la politique monétaire et de change, l'ajustement se fera par une migration des travailleurs de A vers d'autres pays de l'union qui connaissent une situation inverse et une pénurie de main-d'œuvre. En outre, les perspectives d'investissement étant faibles dans A, l'épargne disponible ira s'investir dans les pays voisins permettant ainsi de limiter la baisse du taux de profit des entreprises de A. En conséquence, la hausse du chômage est contenue par la mobilité du travail, ce qui évite une pression à la baisse sur les salaires de ceux qui demeurent dans le pays, et la mobilité du capital permet d'amortir la baisse des profits. Au final, la mobilité des facteurs permet d'amortir la crise que connaît A et lui évite une trop forte baisse des revenus (salaires et profit). Par ailleurs, les autres pays de l'union qui connaissent une croissance économique bénéficieront des apports en travail et en capital venant de A et pourront poursuivre leur croissance sans déséquilibres.

A la suite de Mundell, les économistes se sont demandés si d'autres conditions à la réalisation d'une ZMO pouvaient exister. En effet, d'une part, la mobilité des facteurs n'empêche pas un certain temps d'ajustement plus ou moins douloureux et, d'autre part, la mobilité parfaite du travail est illusoire dans une zone avec des différences culturelles et linguistiques.

Pour bien voir les limites de la mobilité des facteurs de production, faisons une analogie avec un pays. Considérons par exemple la France d'avant l'euro et ses régions dans le rôle des Etats ; elle constituait une zone monétaire avec une mobilité des facteurs de production quasi parfaite, au moins plus importante que celle qui existe entre les pays actuels de la zone euro. Pourtant, cela n'a pas empêché des différences durables entre les régions et un développement inégal, d'autant que certaines régions sont mieux dotées que d'autres en ressources naturelles (la présence de charbon, l'étendue et la qualité des terres cultivables, les ressources maritimes, mais aussi le climat ou les réseaux de transports...).

Trois alternatives à la mobilité des facteurs ont été proposées :

• Une aide des pays partenaires. Pour aider le pays en difficulté, les pays partenaires peuvent mobiliser des financements à court ou long terme. Cela suppose une entente entre les pays, un embryon de fédéralisme et un minimum d'intégration des circuits financiers (à l'image de ce qui existe dans un pays).

• Une forte intégration des échanges entre pays et diversification des économies. C'est plus une condition préalable qu'une solution. Si les échanges croisés entre les pays sont importants, c'est-à-dire si les pays d'une zone monétaire commercent pour l'essentiel entre eux, on peut espérer que les problèmes se compensent. Par exemple, si un pays connaît des difficultés sur un bien qu'il produit, il peut compenser la perte de croissance et de revenus par une production accrue d'un autre bien qu'un autre pays a des difficultés à produire. Plus les échanges seront importants et croisés, plus ce que perd un pays pourra être regagné ailleurs. On en déduit également que plus les économies des pays seront diversifiées, plus la compensation aura de chance de s'opérer.

• Une similarité des structures productives. Là encore, c'est avant tout une condition préalable à l'instauration d'une ZMO. Plus les pays membres ont des structures productives proches (structures des coûts de production, technologies, structure sectorielle, ouverture extérieure...) moins il sera probable que seul un pays soit en difficulté. Autrement dit, la probabilité que les pays soient tous affectés de la même façon par un choc économique sera grande. Dans ce cas, une action commune pourra être envisagée par la politique monétaire et de change sans compromettre la monnaie unique (voir ci-après).

c) Implications de la théorie des ZMO pour la politique économique de la zone euro

La théorie des ZMO permet d'éclaircir plusieurs débats et enjeux actuels sur l'intégration de l'Europe, d'autant que la zone euro ne forme pas complètement une aire monétaire optimale au vu des critères et conditions énoncés plus haut.

• Chocs symétriques, chocs asymétriques et rôle de la BCE

La théorie des ZMO précise dans quelle mesure la politique monétaire commune peut être utilisée en cas de déséquilibres économiques. Deux types de déséquilibres sont à distinguer : des chocs symétriques et des chocs asymétriques :

- Chocs symétriques : tous les pays de la zone monétaire sont affectés par la même perturbation (hausse du prix du pétrole, ralentissement mondial de la croissance...). Dans ce cas, la politique monétaire peut constituer un levier d'action pour relancer l'économie de la zone, par la baisse des taux d'intérêt et/ou la dépréciation de la monnaie unique par rapport aux devises étrangères, sans que cela ne remette en cause les taux de change fixes ou la monnaie unique.

- Chocs asymétriques : seul un pays, ou une partie des pays de la zone, est affecté par des perturbations économiques. Dans ce cas, la politique monétaire ne peut être utilisée de façon discriminante (sur un pays ou un groupe de pays) sauf à revenir sur la monnaie unique. C'est par les mécanismes ou conditions vus précédemment que le pays pourra faire face aux déséquilibres.

La BCE a pour seule mission de garantir la stabilité des prix et non pas, à la différence de la FED américaine, de veiller également à une croissance durable. Autrement dit, la BCE ne peut intervenir en principe dans le cas de chocs asymétriques, ni dans le cas de chocs symétriques. Il y a là matière à interrogation et débat sur la politique monétaire européenne : ne faudrait-il pas élargir le rôle de la BCE au soutien de la croissance en cas de chocs symétriques ? Les pays de la zone euro ne vont-ils pas trop loin dans le renoncement à leur souveraineté monétaire ? Ne se privent-ils pas trop vite d'une possibilité d'action conjoncturelle en cas de difficultés économiques ? C'est ainsi que la BCE fait souvent figure de bouc émissaire en étant régulièrement accusée par certains Etats membres de se focaliser sur l'inflation au risque de pénaliser la croissance et l'emploi.

La crise des « subprimes » en 2007 (crédits immobiliers américains à risque) a toutefois montré que la BCE pouvait s'écarter du dogme de la stabilité des prix. En décembre, face au risque de faillite en cascade des banques (notamment allemandes et anglaises) susceptible d'engendrer une grave crise économique, et alors qu'elle mettait en garde contre une poussée inflationniste en menaçant d'un relèvement des taux directeurs, la BCE n'a pas hésité à secourir les banques en participant à une action concertée avec d'autres banques centrales (américaine, canadienne, anglaise et suisse) puis en acceptant de satisfaire les demandes de refinancement des banques sans limites de montant et à un taux inférieur à celui du marché...

• Elargissement de l'Europe et de la zone euro

La théorie des ZMO fournit des critères pour évaluer les possibilités d'adhésion d'un pays à l'Union européenne puis à la zone euro (conditions préalables d'intégration, de diversification et de similarité). En ce qui concerne les pays membres de l'Europe de l'Est, il est clair que les critères de diversification des économies et de similarités des structures n'étaient pas remplis à leur date d'adhésion.

L'enjeu à long terme pour l'intégration européenne est donc de rapprocher les structures économiques et sociales de ces pays de celles des anciens pays membres, si l'on ne veut pas voir une Europe à deux vitesses entre les pays de l'Ouest et les pays de l'Est. Cela implique une politique d'aide et un soutien financier de l'Union européenne envers ces pays et donc aussi une politique budgétaire commune et des règles précises de contributions financières de la part des pays membres (afin d'éviter aussi les marchandages récurrents entre les pays).

• Politique budgétaire et Pacte de stabilité

La théorie des ZMO montre comment les pays de la zone euro peuvent s'ajuster pour faire face aux chocs asymétriques. Il reste cependant un moyen d'action que nous n'avons pas encore examiné de façon précise : la politique budgétaire.

La marge de liberté budgétaire dont dispose un pays de l'union monétaire face à un choc asymétrique est limitée pour trois raisons. En premier lieu, la perte de souveraineté monétaire lui interdit de financer le déficit budgétaire par une création de monnaie. En second lieu, si le pays décide de recourir à l'endettement pour financer le déficit budgétaire, il risque d'engendrer la défiance dans la capacité de l'UE à s'intégrer et à harmoniser les politiques économiques et, par ricochet, de conduire à une perte de confiance dans l'euro (un endettement excessif fait toujours peser le risque de l'insolvabilité du pays). En troisième lieu, la mise en œuvre d'une politique budgétaire a des effets sur les pays partenaires. C'est ce que l'on appelle les “effets de débordements”. Lorsque les économies sont ouvertes et intégrées, les variables économiques d'un pays jouent fortement sur celles des autres pays : ses importations sont les exportations des pays partenaires, ses excédents extérieurs sont les déficits extérieurs des partenaires... et réciproquement. Une politique budgétaire autonome d'un pays risque alors de produire des déséquilibres dans les pays partenaires.

C'est pour ces raisons, et notamment les deux dernières, que s'est imposée l'idée du Pacte de stabilité destiné à mettre en place une discipline budgétaire commune. Instauré par le traité de Maastricht, le Pacte de stabilité, devenu Pacte de stabilité et de croissance (PSC) en 1997, exige des pays une position budgétaire proche de l'équilibre ou en surplus à moyen terme. Il limite les déficits à 3 % du PIB et un endettement supérieur à 60 % du PIB (cette dernière disposition a été assouplie, cf encadré suivant). En cas de non respect du PSC, un pays s'expose à des sanctions financières de la part de la Commission et approuvées par le Conseil Ecofin.

Pacte de stabilité et de croissance et déficit budgétaire “excessif”

Le caractère de déficit public excessif est défini à l'aide des deux paramètres suivants :

– le rapport entre le déficit public prévu (pour l'année en cours) ou effectif (celui de l'année précédente) et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence (fixée à 3 % du PIB) à moins :

· que le rapport n'ait diminué de manière substantielle et constante et atteint un niveau proche de la valeur de référence ;

· ou que le dépassement de la valeur de référence ne soit qu'exceptionnel et temporaire et que ledit rapport reste proche de la valeur de référence ;

– le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence (fixée à 60 % du PIB) à moins que ce rapport ne diminue suffisamment et ne s'approche de la valeur de référence à un rythme satisfaisant.

Le PSC a été mis à mal et n'a pas résisté au premier ralentissement important de la croissance dans la zone euro en 2002. C'est ainsi que le 12 février 2002, le Conseil Ecofin a finalement rejeté la proposition de la Commission européenne d'infliger à l'Allemagne et au Portugal un “avertissement préventif” pour risque de déficit budgétaire “excessif”. En échange, les deux pays ont dû prendre l'engagement ferme de mieux contrôler leurs dépenses et de mettre en oeuvre tous les moyens pour réduire leurs déficits. Ce compromis n'est pas dans l'esprit des règles du pacte de stabilité et de croissance. Il montre que l'interprétation de la notion de “déficit excessif” devient une question politique et révèle toute la fragilité du pacte de stabilité et de croissance.

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