Rationalité des comportements financiers

Les trois routines dans le domaine financier

La routine de représentativité

Définition

La routine de « représentativité » explicite un comportement particulier des agents qui se réfèrent à un signal qui leur semble pertinent pour fonder leur jugement, alors même que, du point de vue des probabilités, celui-ci n'a qu'un faible (voire aucun) contenu informatif.

Exemple

Tversky et Kahneman[1] illustrent ce mécanisme par le jeu de la roulette. Les joueurs conditionnent la couleur future (noir ou rouge) à la série passée de couleurs qui est sortie. Ainsi, si le rouge est souvent sorti auparavant, ils estimeront que le noir a plus de chance de survenir au prochain tour et parieront sur le noir. Or, d'un point de vue probabiliste, la survenance du rouge ou du noir au prochain tour est indépendante des tours passés, et est identique pour les deux couleurs (hors tricherie, il va sans dire).

FondamentalLa routine de représentativité en finance

De Bondt et Thaler [1990[2]] ont montré que les agents financiers ont tendance à surestimer le poids des informations récentes, négligeant les informations plus anciennes. La sur-réaction aux annonces s'avère être un comportement très usuel sur les marchés financiers.

La routine de disponibilité

Définition

Cette heuristique conduit les agents à estimer la probabilité de survenance d'un événement particulier à partir de la fréquence d'un autre événement d'une classe plus large que celle de l'événement considéré mais que l'on peut aisément connaître et mobiliser. Les agents vont établir les fréquences sur des échantillons pas nécessairement représentatifs. Cette routine psychologique crée un biais dans l'estimation de la probabilité de réalisation d'un événement.

Exemple

Tversky et Kahneman donnent l'illustration suivante. Quand un individu assiste à un accident de voiture ou à un incendie de voiture, il a tendance à surestimer la probabilité que lui survienne un tel accident. Bernstein [1998][3] offre une seconde illustration plus anecdotique :

« Par une nuit de la Seconde Guerre mondiale, lors d'un énième raid sur Moscou, un distingué professeur de statistique se rend à l'abri antiaérien où il n'a jamais mis les pieds. "Pourquoi cela tomberait-il sur moi ?" disait-il auparavant. Ses amis stupéfaits lui demandent ce qui l'a fait changer d'avis. "C'est que, répondit-il, il y a sept millions d'habitants à Moscou, et un seul éléphant. Hier soir, ils ont eu l'éléphant. » (p. 107)

Fondamental

Broihanne, M.-H., Merli, M., et Roger, P.[4] illustrent ce biais par le fait que les investisseurs individuels seraient plus prompts à racheter des titres précédemment détenus si leur prix a augmenté depuis leur cession.

La routine d'ancrage ("anchoring")

Définition

Cette routine décisionnelle indique que les agents ont tendance à fonder leur jugement en fonction des premières informations qu'ils ont acquises, sans intégrer la totalité des données qui leur sont accessibles. Ils se font une idée globale du problème dès les premières informations qui leur sont communiquées et ne modifieront cette croyance que lentement.

Exemple

Tversky et Kahneman[1] donnent l'illustration suivante. Ils demandent à deux groupes d'étudiants de calculer factorielle 8, en cinq minutes. Mais, ce nombre est présenté différemment aux deux groupes : au premier groupe, la série "8*7*6*5*4*3*2*1", soit en ordre décroissant des facteurs, au second, la série croissante "1*2*3*4*5*6*7*8".

S'agissant du même nombre, les deux groupes devraient donner une évaluation similaire. Or il s'avère que le premier groupe a une estimation médiane de 2 250 et le second 512, le résultat correct étant 40 320. Ils constatent donc que les individus conditionnent leurs calculs aux premiers nombres donnés. Dans la première série, les premiers nombres élevés conduisent à une estimation supérieure à celle formulée lors de la seconde série où les premiers nombres sont faibles.

Complément

L'heuristique d'ancrage amène les agents à accorder beaucoup d'importance aux premières informations et à ne modifier que lentement leur jugement. Ce trait de comportement peut amener les agents financiers à croire à leurs intuitions initiales en conservant leurs positions malgré une évolution contraire des cours.

  1. Tversky, Amos et Kahneman, Daniel

    Tversky, A. et Kahneman, D., [1974], Judgment Under Uncertainty : Heuristics and Biaises, Sciences New Series, 185 (4157 Sept. 27), p. 1124-1131. Reprinted in Uncertainty in Economics : Readings and Excerices, Diamond P., Rosthschild M. (Eds.), [1989], Academic Press, New York, p. 19-34.

  2. De Bondt, Werner F.M. et Thaler, Richard H.

    De Bondt, W. F.M. et Thaler, R. H., [1985], Does stock market overreact ?, Journal of Finance, 40(3), july, p. 793-805.

  3. Bernstein, Peter Lewyn

    Bernstein, P. L., [1998], Plus forts que les dieux, la remarquable histoire du risque, Flammarion, Paris.

  4. Broihanne, Marie-Hélène, Merli, Maxime, Roger, Patrick

    Broihanne, M.-H., Merli, M., et Roger, P., [2004], Finance comportementale, Economica, Paris.

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