Rationalité des comportements financiers

Introduction

Le courant de la finance comportementale propose de reconsidérer les hypothèses comportementales en abandonnant les axiomes de la décision rationnelle et la thèse de l'efficience des marchés. Ce champ récent (les premiers articles datent des années quatre-vingt dix) est devenu une discipline à part entière de la finance, avec ses propres revues académiques (Journal of Psychology and Financial Markets qui deviendra le Journal of Behavioral Finance en 2003).

Les travaux de la finance comportementale s'avèrent très disparates. Peuvent être mis sous ce vocable tous les articles remettant en cause le modèle standard. Toutefois, Schinkus [2009][1] souligne que cet ensemble hétéroclite s'accorde sur trois hypothèses.

  • La première hypothèse, qui justifie le nom donné à cette école postule l'existence de biais comportementaux qui explique les déviances observées. Ces biais sont des traits de comportement récurrents mais irrationnels au regard de la théorie économique standard. Les individus simplifient le monde réel et le processus de décision, en recourant, de façon instinctive à des routines décisionnelles (heuristiques) ; la rationalité n'est plus substantielle mais limitée ou procédurale ( Simon H.[2]). Ces heuristiques ont été mises en exergue par les psychologues cognitivistes, principalement Kahneman et Tversky[3]. La théorie des perspectives de ces derniers est très souvent mobilisée en remplacement de la théorie de l'utilité espérée pour comprendre la décision en situation de risque. D'autres facteurs psychologiques sont aussi mobilisés comme la sur-confiance ou la comptabilité mentale.

  • La deuxième hypothèse est l'inscription environnementale de la décision : le contexte influence le choix de l'individu. Les préférences individuelles sont contingentes à la situation dans laquelle est placé l'individu. Ainsi, l'organisation, la culture, l'état du marché sont des facteurs à considérer pour comprendre certains phénomènes constatés sur le marché.

  • Enfin, la dernière hypothèse est la remise en cause de la thèse d'efficience des marchés ( Shiller [2002][4]). Les auteurs de la finance comportementale supposent la non-efficience des prix. Certains comportements irrationnels dans le cadre de l'efficience deviennent rationnels, comme par exemple le mimétisme.

Au niveau méthodologique, l'ancrage de la finance comportementale en psychologie cognitive démarque ce champ des sciences économiques classiques par l'importance accordée à l'expérimentation (en laboratoire, par enquête ou par analyse des données). Les comportements ne sont plus postulés mais déduits de l'observation. Il n'existe plus de norme comportementale pré-supposant ce que devrait faire un individu normal dans une situation d'équilibre. Au contraire, les heuristiques sont découvertes et il revient ensuite au chercheur d'en donner des explications en puisant dans des registres non exclusivement économiques.

En recherchant des hypothèses réalistes, la finance comportementale s'oppose à l'instrumentalisme friedmanien, pour lequel des hypothèses non réalistes pouvaient être conservées dès lors que le modèle avait un pouvoir prédictif.

  1. Schinckus, Christophe

    SCHINCKUS C., [2009], La finance comportementale ou le développement d'un nouveau paradigme, Revue d'Histoire des Sciences Humaines, n° 20, p. 101-127.

  2. Simon, Herbert

    Simon, H., [1955],  A Behavioural Model of Rational Choice, The Quartely jounal of Economics, 69, p. 99-118.

  3. Tversky, Amos et Kahneman, Daniel

    Tversky, A. et Kahneman, D., [1974], Judgment Under Uncertainty : Heuristics and Biaises, Sciences New Series, 185 (4157 Sept. 27), p. 1124-1131. Reprinted in Uncertainty in Economics : Readings and Excerices, Diamond P., Rosthschild M. (Eds.), [1989], Academic Press, New York, p. 19-34.

  4. Shiller, Robert, 2002

    SHILLER R., [2002], From Efficient Markets Theory to Behavorial Finance, New Haven, Yale University, Working Paper, 1385.

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