Environnement économique et social
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Les systèmes économiques

Toute société est amenée à s'interroger sur le choix de ses règles de fonctionnement ou d'organisation.

Trois niveaux de choix et d'organisation peuvent être distingués :

1/ Le niveau politique : quel projet de société ? Quel processus de décision collective ? Quelle place accorder aux individus ? C'est ici la question du choix d'un système politique.

2/ Le niveau économique : quels principes d'organisation pour produire la valeur ajoutée ? Qui doit être propriétaire des moyens de production ? Comment éviter les déséquilibres économiques ? Comment répartir la richesse créée ? C'est ici la question du choix d'un système économique.

3/ Le niveau instrumental : comment encadrer les interactions, les échanges entre les membres de la société ? Comment coordonner les actions des agents économiques ? C'est ici la question du choix d'un système de coordination.

Les notions de libéralisme et de socialisme renvoient au deux premier niveaux. Cependant, il faut faire une distinction entre la sphère politique et la sphère économique. Les notions d'économie de marché, économie planifiée renvoient, quant à elles, au dernier niveau. Remarque : on n'abordera pas ici les autres visions d'organisation politique comme l'anarchie, la dictature...

a) Libéralisme et socialisme politiques

Le libéralisme politique repose sur le principe de libre choix des individus et la garantie des libertés fondamentales d'opinion, d'expression, de réunion... Le socialisme politique vise à une société égalitaire où l'intérêt général prime sur les intérêts particuliers.

Libéralisme (né avec le siècle des Lumières) et socialisme (né en réaction au 19ème s.) ne sont que les prolongements modernes d'un débat ancien sur l'organisation des sociétés humaines, vieux de plus de 2000 ans. Il faut en effet revenir aux philosophes grecs antiques, dans le contexte de la fondation des Cités grecques, et à la célèbre controverse entre Platon et Aristote.

• Pour Platon, c'est la société dans son ensemble qui prime (le bien commun) et non l'individu. Il s'agit de construire une société et une vie sociale harmonieuses. Or, il peut y avoir opposition, conflit entre les intérêts privés et l'intérêt collectif. Il faut alors une autorité supérieure qui veille à ce que les intérêts individuels ne nuisent pas à l'intérêt ou au bien-être général. L'Etat devient tout désigné pour jouer ce rôle de régulateur et sauvegarder la cohésion de la communauté. Il doit veiller à une bonne division sociale du travail (répartition des rôles entre agriculteurs, soldats, politiques...) et l'économie est au service de tous. La construction de la société idéale est un acte volontariste, donc avant tout politique. L'économie n'est pas une fin en soi mais un moyen de réaliser la société idéale.

• Pour Aristote, il existe un ordre naturel harmonieux dans la Nature, qu'elle soit physique ou sociale. Cet ordre naturel (cette harmonie) ne doit surtout pas être modifié, notamment par l'autorité politique : c'est le fondement du principe de non intervention de toute autorité dans la vie sociale et économique. Cela est d'autant plus justifié que l'individu, doté d'une raison, d'une autonomie de décision et d'action, est l'élément moteur d'une société. L'objectif de l'homme est la recherche de son propre bonheur et non pas la recherche d'une vie sociale harmonieuse. Cette recherche du bonheur passe par en particulier par l'échange. Au final, la poursuite des intérêts individuels aboutit à un ordre spontané, naturel, équilibré, c'est-à-dire à l'intérêt général et au bien-être de tous.

Le modèle de Platon a d'abord été qualifié de modèle administratif, le socialisme n'étant que le courant récent avec des variantes (le socialisme utopique de Proudhon par exemple) et des prolongements (le communisme qui prône la disparition complète de l'Etat). Le modèle d'Aristote a été qualifié de modèle libéral. Le libéralisme récent est lui même traversé par divers courants (social libéralisme, ultra libéralisme).

b) Libéralisme et socialisme économiques

Sur le plan économique, les choix d'organisation dépendront du choix de la posture philosophique, aristotélicienne ou platonicienne. On comprend alors les grands débats et clivages entre libéralisme et socialisme économiques : propriété privée / propriété collective, déréglementation / réglementation, privatisation / nationalisation, concurrence / monopole, liberté des prix / encadrement des prix, suppression des aides aux agents économiques / transferts sociaux de répartition, Etat-Gendarme / Etat-Providence, etc.

Evidemment, les choses ne sont pas si simples dans la réalité. Ainsi des pays qui se déclarent politiquement libéraux refuseront de s'en remettre complètement au libéralisme économique ; des pays politiquement socialistes de s'en remettre totalement au socialisme économique... Deux exemples français bien connu en guise d'illustration. Vers la fin de son mandat, V. Giscard d'Estaing était qualifié de socialiste par certains courants de sa famille politique, du fait de l'explosion de la pression fiscale (due à la hausse des cotisations sociales pour financer le chômage de masse) et signe de l'intervention massive de l'Etat ; F. Mitterand s'était vu décerné le prix de meilleur économiste libéral par le Financial Times pour la déréglementation des marchés financiers et les privatisations entreprises au milieu des années 80. Ajoutons également la désormais célèbre phrase de L. Jospin au cours de la campagne présidentielle de 2001 : "Je ne suis pas socialiste"...

c) Economie de marché / économie planifiée / économie de corruption

On assimile, à tort, la première au libéralisme et la seconde au socialisme. Ce sont deux moyens concurrents pour coordonner les actions des agents économiques et qui peuvent être déconnectés des choix d'organisation politique et économique. Un troisième, qui existe également depuis longtemps, mérite d'être mentionné au vu de l'importance qu'il prend : l'économie de corruption.

L'économie de marché (ou décentralisée) désigne une économie qui fonctionne grâce à des marchés, lieux matériels (les foires, le marché de Rungis, la Bourse de Paris) ou immatériels (internet) où se confrontent librement ceux qui veulent échanger, les consommateurs et les producteurs. On verra dans ce qui suit ce que recouvre la fameuse "loi de l'offre et de la demande".

L'économie planifiée (ou centralisée) désigne une économie où, à partir d'un équilibre déterminé par avance, une autorité décide des comportements des agents (le niveau de leur production, de leur revenu, de leur consommation, le niveau des échanges et le prix des échanges) qui assureront cet équilibre prédéterminé.

Ces deux formes de coordination des agents économiques sont chacun censés remplir les trois fonctions fondamentales nécessaires au bon fonctionnement de l'économie :

• La fonction d'information : que faut-il produire, consommer et épargner ?

• La fonction de répartition : comment répartir la richesse créée ?

• La fonction de régulation : comment faire face au déséquilibres éventuels ?

Dans une économie de marché, c'est le prix qui est au cœur de la coordination. Par ses variations, les agents économiques sont informés et adapteront leurs comportements de telle sorte qu'un équilibre général, et le plus juste, s'établira dans l'économie. Dans une économie planifiée, le plan joue le rôle du prix. Il est même plus efficace que le marché car, fixant par avance l'équilibre et les comportements, il "économise" la fonction de régulation et les délais d'ajustement (les déséquilibres ne peuvent exister par définition). Voir à ce sujet l'encadré qui suit.

N'oublions pas un mode particulier de coordination, qui n'a pas encore fait l'objet d'une théorie mais qui fonctionne : l'économie de corruption. Connue depuis longtemps dans certaines économies d'Amérique Latine, cette forme d'économie prospère à grande vitesse depuis l'effondrement des pays de l'Est.

On lira sur ce phénomène inquiétant un extrait de l'article Economies informelles et criminelles : la face cachée de la mondialisation. L'auteur rappelle des évidences oubliées et soulève des questions fondamentales. Ainsi, la majorité de la population mondiale vit en dehors d'une économie "codifiée", de type marché ou planifiée, et vit plutôt au sein d'économies informelles ou populaires. L'économie criminelle ou mafieuse (estimée à 40 % du PIB russe...) vient perturber les économies informelles et codifiées : d'une part, la corruption et l'économie mafieuse conduit à la destruction du tissu social dans les pays pauvres et entretient la pauvreté ; d'autre part, les mouvements de capitaux incontrôlés, le problème des paradis fiscaux et le blanchiment perturbent le (déjà difficile) fonctionnement des marchés financiers "officiels". L'un des enjeux de la transformation de la Russie est d'ailleurs le risque de basculer vers une économie de corruption et de "contaminer" les économies européennes. L'auteur est pessimiste sur les évolutions des pays sous influence criminelle car il rappelle, à juste titre, que le marché de nos économies modernes ne s'est pas créé tout seul, sans un minimum d'éthique et de règles, et qu'il est sans cesse protégé des dérives qu'il génère lui-même (lois anti trusts par exemple).

d) Capitalisme et socialisme réel

Le capitalisme n'est pas un système économique théorique mais le système économique observé dans les économies, surtout occidentales. On tentera dans la partie 2 de le définir et de le caractériser. Mentionnons déjà la multiplicité des qualificatifs qu'on lui accole : capitalisme anglo-saxon, capitalisme rhénan, capitalisme asiatique, capitalisme marchand, industriel, financier, patrimonial...

De même, le terme socialisme réel a été forgé pour bien faire la différence entre le modèle et ce que l'on observait (économie chinoise, économie de l'URSS).

L'ensemble des précisions faites, on peut comprendre pourquoi des économistes libéraux estiment que le capitalisme est un mauvais système et qu'il faut le réformer pour le rapprocher du modèle libéral. Pourquoi des économistes socialistes expliquent que la chute des économies des pays de l'Est était prévisible car ces économies n'étaient pas conformes au modèle socialiste (avec notamment l'existence d'une nomenklatura, caste de capitalistes déguisés).

Par ailleurs, on peut également comprendre l'adjonction de termes apparemment contradictoires pour désigner les économies observées. Ainsi, la France des années 50 et 60 pouvait être caractérisée d'économie de marché en partie planifiée, et capitaliste avec une dose de socialisme réel au vu du poids des entreprises publiques. L'Italie est une économie de marché, capitaliste mais qui coexiste avec l'économie de corruption. La Chine actuelle se dit politiquement socialiste et délaisse la planification pour l'économie de marché, et favorise l'émergence d'un secteur privé.

Oskar LANGE, inventeur du socialisme de marché

En 1938, ce professeur polonais d'économie publie Théorie économique du socialisme. Il y constate que les programmes économiques socialistes reposent sur deux propositions : l'abolition de la propriété privée d'une part, la disparition de la concurrence et du marché d'autre part. Pour lui, cette deuxième revendication constitue une erreur d'appréciation, car si le marché est insupportable quand il permet aux propriétaires privés d'accumuler des profits, il constitue le meilleur moyen de favoriser la production et d'assurer l'équilibre entre l'offre et la demande. Ce qui est fondamental pour mener une politique socialiste, c'est d'abolir la propriété privée. Il propose donc de conserver les mécanismes du marché, devenant ainsi le théoricien du « socialisme de marché ».

Pour appuyer sa thèse, il s'inspire des textes de Walras, économiste libéral, qu'il découvre aux Etats-Unis et dont il fait son maître à penser, à l'égal de Karl Marx. Pour Walras, le système d'équations qui décrit l'économie concurrentielle permet de trouver un système de prix unique réalisant l'équilibre entre l'offre et la demande. Ses idées, fondées sur un constat purement mathématique de l'existence de prix d'équilibre suscitent deux types de critiques : comment le marché peut-il atteindre ce système de prix idéal quand on sait que les consommateurs sont susceptibles d'acheter à tout moment, même à un prix qui n'est pas celui de l'équilibre ? Comment cet équilibre peut-il être stable quand la concurrence se détruit d'elle-même pour souvent ne laisser que quelques producteurs ? Walras a certes tenté de répondre à ces critiques en imaginant un personnage fictif, le peu convaincant « commissaire-priseur walrasien », chargé de faire émerger les prix d'équilibre.

Lange en reprend l'idée mais transforme le commissaire-priseur en commissaire du peuple... Ce que le libéralisme promet sans pouvoir le réaliser, le Bureau central de planification (BCP) va y parvenir. Les enchères qui conduisent au système de prix d'équilibre vont être de sa responsabilité. Affichant un système de prix, il demande aux autorités locales de collecter les demandes des consommateurs, qui doivent se comporter librement et adopter, de ce fait, des attitudes conformes au modèle néoclassique de Walras. De même, le BCP demande aux responsables des usines combien ils sont prêts à produire pour le prix affiché, en leur recommandant de se comporter également comme s'ils étaient en situation de concurrence parfaite. Le BCP centralise les réponses et réitère ses demandes jusqu'à l'égalité de l'offre et de la demande. Le socialisme permet ainsi la réalisation du marché parfait et doit se traduire par un système de prix stable.

Par ailleurs, l'Etat, unique propriétaire des moyens de production, récupère les profits des entreprises. Il les emploie à deux choses : la couverture des besoins en épargne, nécessaire au financement de la croissance voulue par les pouvoirs publics ; la distribution de revenus complémentaires au salaire en faveur de certaines catégories d'ouvrier aux conditions de travail particulièrement difficiles, complément de revenu qu'il appelle le dividende social. Ainsi, aux critiques des économistes libéraux contre le socialisme, il répond que le socialisme permet de mieux réaliser l'équilibre de marché que le système de propriété privée qu'ils défendent.

Jean-Marc DANIEL, Le Monde du 11/12/2001, supplément économie, p. V (extraits)

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