Environnement économique et social
CoursOutils transverses

La mondialisation économique

a) Le succès de la notion de mondialisation

Elle tient depuis les années 90 aux contributions de deux auteurs : Kenichi Ohmae (consultant chez Mac Kinsey) et Robert Reich (professeur à Harvard et ministre du travail sous Clinton). Ohmae, dans son ouvrage L'entreprise sans frontières : nouveaux impératifs stratégiques, InterEditions, 1991 (paru en 1990), estime que l'économie mondiale est désormais caractérisée par l'interdépendance de trois ensembles qu'il appelle "la Triade" : Union Européenne, Amérique du Nord et Japon. Au sein de la Triade émergent des firmes mondiales, sans attache nationale, organisées en réseau. Reich (L'économie mondialisée, Dunod, 1993) rejoint les analyses de Ohmae et met l'accent sur la gestion en réseau, par les firmes mondiales, de savoirs et savoir-faire disséminés mondialement. Les deux auteurs se rejoignent pour prédire la fin de la capacité d'action des Etats nationaux en matière de politique économique et sociale.

Le commerce mondial (données 2006)
Le commerce mondial (données 2006)[Zoom...]
b) La mondialisation : quelles nouveautés par rapport à l'internationalisation ?

Faut-il parler, comme auparavant, d'internationalisation ou, désormais, de mondialisation ?

L'internationalisation est un terme utilisé depuis longtemps pour décrire l'ouverture croissante des économies. Elle renvoie au développement des exportations et des investissements directs à l'étranger (IDE) qui se traduisent par une rythme soutenu des échanges internationaux.

Nombreux sont ceux qui voient des particularités dans la période actuelle justifiant l'emploi du terme de mondialisation. Ces particularités seraient les suivantes :

— l'accroissement des IDE sous forme d'acquisitions d'entreprise

— l'interdépendance et l'intégration des économies nationales

— la libéralisation des marchés financiers

— la libéralisation des échanges

— la vigueur de l'industrialisation des pays de l'Asie du Sud-Est traduisant un déplacement de l'économie-monde de New-York vers le Pacifique

— la rapidité des changements technologiques avec le rôle déterminant des techniques de télécommunications

— l'émergence d'un marché mondial qui dépasse la simple ouverture de marchés nationaux

— le rôle d'autorités intermédiaires entre les nations et l'économie mondiale : G7, FMI, OMC, Commission européenne...

Lorsque l'on examine un à un ces arguments, et que l'on adopte un point de vue de longue période, la rupture entre internationalisation et mondialisation n'apparaît pas clairement. Il suffit de se référer aux travaux de Braudel pour s'en convaincre. L'article Une histoire aussi vieille que le capitalisme en fait la démonstration : la mondialisation était au moins aussi forte, voire plus, au début du siècle qu'à l'heure actuelle. Et l'on parlait à l'époque... d'internationalisation.

c) Mondialisation et intégration régionale

On pourrait objecter que l'émergence d'un marché mondial est véritablement nouvelle et justifie à elle seule l'usage du terme mondialisation. Toutefois, l'expression "marché mondial" est exagérée : existe-t-il réellement un marché global ou planétaire où s'échangent les biens et les services ? L'étude des échanges au niveau mondial fait plutôt apparaître une concentration des échanges entre quelques zones géographiques, qui plus est, protégées par des accords douaniers et commerciaux (voir la carte ci-après).

La "mondialisation" économique reflète en réalité un double mouvement d'intégration / différenciation : intégration d'économies nationales (union européenne, accords commerciaux transnationaux) et différenciation avec, d'une part, différenciation entre zones participantes aux échanges internationaux et zones exclues et, d'autre part, différenciation entre blocs commerciaux (Union Européenne, ASEAN, ALENA...).

Les accords commerciaux et de coopération : le rôle pivot des Etats-Unis
Les accords commerciaux et de coopération : le rôle pivot des Etats-Unis[Zoom...]

La mondialisation ne doit pas masquer ce phénomène d'intégration régionale qui peut être vu comme un moyen de contrôler la mondialisation par les Etats. Avec les difficultés d'avancement des négociations multilatérales dans le cadre de l'OMC depuis le début des années 2000 (cycle de Doha – voir encadré), les accords bilatéraux ou régionaux prennent de plus en plusace d'importance et compliquent singulièrement une véritable libéralisation des échanges et l'émergence d'un marché mondial. On appelle cela le syndrome du « plat de spaghettis »...

L'OMC et le cycle de Doha

La libéralisation du commerce depuis 1945 s'est faite dans le cadre de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ou GATT General Agreement on Tariffs and Trade) qui n'aura jamais le statut d'organisation internationale. En 1995, l'Organisation mondiale du commerce reprend la suite des négociations pour la libéralisation du commerce des biens et des services à l'échelle mondiale. La véritable nouveauté réside dans la création d'une juridiction des conflits commerciaux. L'OMC est autorisée à sanctionner financièrement les Etats, pouvoir de sanction unique dans le droit international. Réunissant les États membres tous les deux ans, la conférence ministérielle constitue la structure suprême de l'organisation.

La conférence de Seattle en 1999 a fait apparaître de fortes divergences entre les Etats-Unis et les Européens, en particulier sur le dossier agricole. Mais la nouveauté réside dans la volonté sans précédent des pays en développement de faire entendre leur voix. C'est aussi l'irruption des opinions publiques (en particulier les opposants altermondialistes) qui font irruption sur une scène jusque là réservée à des négociateurs spécialisés.

Réunie à Doha au Qatar en 2001, la 4ème conférence ministérielle de l'OMC a finalement lancé un nouveau cycle de négociations. Mais ce cycle a été suspendu sine die le 24 juillet 2006 par Pascal Lamy alors directeur de l'OMC. L'Union européenne demandait une réduction drastique des soutiens directs accordés par le gouvernement américain à ses agriculteurs ; Washington exigeait une forte baisse des droits de douane européens ; les pays en développement, Brésil et Inde en tête, critiquaient vivement à la fois les subventions américaines et les droits de douane européens et refusaient en retour toute avancée sur les dossiers des produits manufacturés et des services.

d) Mondialisation et contestation sociale

Le vaste mouvement de libéralisation couplé aux avancées technologiques des télécommunications et du traitement de l'information se traduit par une complexité accrue dans notre perception du monde. La véritable signification de la mondialisation est la "multiplication des interfaces entre les économies, les firmes, les sociétés et les cultures" (Ph. Engelhard, Le Monde, 16/05/00). Et cela conduit chez les individus et au sein des sociétés à un sentiment d'angoisse, de perte de sens, d'identité, de repères, voire d'insécurité. L'accélération de l'internationalisation perturbe et déstructure le lien social et les modes de vie. Là encore, rien de bien nouveau. Le célèbre ouvrage La grande transformation de Karl Polanyi, économiste-historien autrichien, publié en 1944 (Gallimard, 1983) est à cet égard éclairant. Il montre comment le "marché autorégulateur" a été progressivement instauré par une déréglementation menée par les Etats européens à partir des années 1830. La libéralisation de l'économie et l'extension du marché engendrent une déstructuration rapide de la société, des déséquilibres sociaux et la montée de la contestation sociale. « "On donne au marché le rôle de diriger le sort des hommes et de leur milieu naturel" » écrivait déjà Polanyi en 1944. Face à la contestation qui menace l'équilibre des sociétés, les pouvoirs publics ont dû faire machine arrière et revenir à un interventionnisme dès la fin du 19e siècle, notamment par des mesures protectionnistes. La fin de l'emprise du marché sur la société (la "transformation") interviendra dans les années 30

Pour Polanyi, la déstructuration de la société introduite par l'extension du marché sera la source de la montée des mouvements fascistes.

La mondialisation apparaît à la fois comme un mythe et comme une réalité. Replacée dans le long terme, il est possible d'en cerner les contours et de débarrasser la notion des confusions et des discours médiatiques (tout serait mondialisé et mondialisation).

Au fond, et Braudel surgit une nouvelle fois, la question centrale est encore et toujours celle des inégalités dans les sociétés et entre les sociétés. Le prix Nobel d'économie 1998, Amartya Sen, développe ce point de vue dans son article Dix vérités sur la mondialisation.

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