Environnement économique et social
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L'entreprise : un lieu particulier et récent de création de valeur ajoutée

En tant que forme organisationnelle particulière, l'entreprise est relativement récente à l'échelle de l'histoire humaine. De l'Antiquité au Moyen-Age, la valeur ajoutée était produite au sein l'exploitation artisanale et, en grande majorité, au sein de l'exploitation agricole. Le mot entreprise, indique le dictionnaire Robert, apparaît pour la première fois dans la langue française au 16ème siècle et au 18ème siècle dans son sens économique courant "d'organisation de production de biens ou services à caractère commercial".

Quelle est la nouveauté apportée par l'entreprise ? Quelles sont ses particularités par rapport aux lieux plus anciens de création de valeur ajoutée ? Une façon de répondre est de se pencher sur les définitions proposées. La plupart du temps, les définitions se situent dans le champ économique et se rapprochent de celle de l'INSEE : "toute unité légale, personne physique ou personne morale qui, jouissant d'une autonomie de décision, produits des biens et services marchands". Ce type de définition met l'accent sur le caractère extraverti de l'entreprise : par son autonomie de décision, elle tente d'agir sur son environnement et ses activités sont tournées vers le marché. Cette extraversion différencie l'entreprise des autres formes ancestrales de création de valeur ajoutée. Ainsi, l'exploitation agricole antique ou féodale était plutôt marquée par un caractère introverti : la recherche d'une autonomie de subsistance.

Toutefois, il serait inexact de dire que l'exploitation agricole antique ou moyenâgeuse n'avait aucun rapport avec le marché (voir la partie 2 sur les origines du capitalisme). Par ailleurs, on perçoit que plusieurs formes organisationnelles éloignées coexistent dans la définition de type économique : quoi de commun, par exemple, entre l'épicerie de quartier, les sociétés mutuelles et la firme multinationale ?

Pour approfondir la notion d'entreprise et saisir ses spécificités, les travaux des historiens et des sociologues s'avèrent très utiles. Il est courant de relier l'émergence de l'entreprise à la révolution industrielle. Avec les découvertes scientifiques et l'explosion de la technologie, l'entreprise devient surtout industrielle. Elle prend ici une de ses caractéristiques majeures : la production de biens en grande série en combinant du travail humain et des machines. Toutefois, l'essentiel est peut-être ailleurs : l'entreprise se caractérise avant tout par des relations sociales nouvelles (voir par exemple Max Weber ou Raymond Aron) :

  • L'entreprise opère une séparation entre le cercle familial et le lieu de travail. La famille ou la communauté n'est plus un lieu de production et se restreint à un lieu de consommation. La création du droit commercial va consacrer cette séparation.

  • L'entreprise, qu'elle soit privée ou non, fait appel au travail salarié rémunéré (et non plus à la servitude notamment

  • L'entreprise repose sur une nouvelle division du travail : une division dans le lieu de travail (division interne).

  • Les règles de pilotage de l'organisation sont fondées sur le calcul économique rationnel.

En s'inspirant des travaux de Fernand Braudel, le sociologie Christian Thuderoz propose de distinguer 5 formes-types d'entreprises. Cette typologie est intéressante car elle permet de clarifier les autres termes employés pour désigner l'entreprise (manufacture, fabrique, firme...) et de montrer que l'entreprise est une forme organisationnelle évolutive. Thuderoz distingue ainsi :

  • L'atelier domestique ou familial. C'est la composante du secteur artisanal. L'artisan emploie éventuellement des compagnons ou des apprentis ; il est propriétaire de ses moyens de production et maîtrise l'ensemble du processus de production ainsi que la vente. L'atelier artisanal est l'archétype ou l'embryon de l'entreprise. Tout va basculer lorsqu'intervient le marchand : avec lui, le marché et le profit vont s'imposer.

  • La manufacture. Dans un premier temps, la manufacture est disséminée. Le marchand-entrepreneur devient donneur d'ordre pour les ateliers familiaux. Il avance les matières premières et une partie des recettes à l'artisant ; il prend en charge la vente et se réserve un bénéfice. On aboutit "à des réseaux d'ateliers corporatifs ou familiaux, liés entre eux par une organisation marchande qui les anime et les domine". C'est le putting out system ou travail à domicile. La manufacture est ensuite ce lieu physique et permanent qui rassemble de la main-d'œuvre qui devient salariée. En même temps, s'instaure la séparation entre le capital et le travail, la division du travail et de nouvelles relations sociales.

  • La fabrique. Alors que dans la manufacture, comme le sens étymologique l'indique, le travail est essentiellement manuel, la fabrique introduit le machinisme et la technologie et génère ce qu'on appellera la "grande industrie".

  • L'usine. Au machinisme, s'ajoute une organisation rationnelle de la production qui devient de plus en plus contraignante pour le travail salarié. C'est l'entreprise taylorienne : division extrême du travail, parcellisation des tâches couplée aux machines (travail à la chaîne), rythme de travail imposé par les machines... Avec l'usine, la taille de l'entreprise atteint son apogée (concentration du travail salarié) et les conflits sociaux s'intensifient.

  • La firme. Cette forme d'entreprise se caractérise par son gigantisme, la diversification de ses activités, l'étendue géographique de son champ d'action et son organisation interne. La firme multinationale exacerbe ces caractéristiques. Chandler, universitaire américain, met l'accent sur l'aspect organisationnel : la nécessité de coordonner et de planifier ces grands ensembles conduit à l'émergence d'une nouvelle figure de l'entreprise, les managers, et d'une nouvelle science, les sciences de gestion.

Comme le souligne Thuderoz, ces formes-types d'entreprises peuvent coexister, même si l'une des formes domine à un moment donné.

Pour conclure, évoquons les évolutions futures de l'entreprise prédites par certains : l'entreprise par projets (dont la structure et les configurations internes changent en fonction de l'avancement des projets), l'entreprise virtuelle (travail à domicile ou hors d'un lieu établi physiquement), l'entreprise-réseau (le degré d'interrelation avec d'autres entreprises fait que l'on ne peut plus clairement établir le contour interne de l'entreprise).

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