B - Motivations
A ce stade, nous pouvons nous poser la question de la motivation des acteurs ? Pourquoi des entreprises prennent-elles le risque d'ouvrir leurs programmes de recherche, parfois très largement, à d'autres entreprises, voire à des particuliers anonymes ?
Nous pouvons de nouveau distinguer pratiques d'outside-in et pratiques de inside-out.
Outside-in
Le recours par les entreprises à des communautés d'utilisateurs, de praticiens (open source) ou d'anonymes (crowdsourcing) est un moyen rapide et peu coûteux de trouver des solutions à leurs problèmes ou d'améliorer leurs produits et leurs procédés.
Beaucoup d'informaticiens adhèrent à la Loi de Linus : le nombre d'intervenants diminue le temps de résolution des problèmes et augmente la fiabilité des solutions trouvées.
Eric Raymond le généralise, dans son essai de 1999[1], en affirmant une supériorité contemporaine du « Bazar » (la coopération multiple) sur la « Cathédrale » (hiérarchie fondée sur le statut).
Dans ses travaux, Von Hippel[2] rapporte de nombreux cas d'innovations par des utilisateurs, particuliers ou entreprises, dans des domaines aussi divers que la chromatographie en phase gazeuse, les vélos de montagne ou le cœur-poumons artificiel que le Docteur Gibbon proposa vainement aux industriels dès les années 30. La variété des solutions proposées par les anonymes est souvent surprenante, prouvant que l'imagination du plus grand nombre est moins étriquée que celle des spécialistes.
Exemple :
NASA | En 2009-2010, la NASA proposa sept problèmes jugés insolubles sur la plateforme de crowdsourcing InnoCentive. 3000 personnes issues de 80 pays ont contribué, 300 d'entre elles ont trouvé des solutions, en moyenne 50 solutions différentes pour chaque problème. Dans de nombreux cas les solutions ont été trouvées par des personnes très éloignées du secteur de l'aérospatial. |
Cette ouverture sur le grand public a un autre avantage pour les entreprises, c'est d'obtenir des résultats extrêmement peu coûteux. Les solvers peuvent être bénévoles ou accepter des rétributions relativement symboliques.
D'autre part, les communautés sont capables de s'auto-motiver, d'auto-sélectionner leurs membres, de s'auto-discipliner dans le cadre de règles générales fixées par l'entreprise, supprimant ainsi une partie des coûts liés à la gestion des ressources humaines et à la surveillance ou au suivi du personnel.
Inside-out
A l'opposé, les motivations du inside-out sont plus complexes.
Dans le cas de startups qui cherchent à vendre leurs licences, voire à se vendre elles-mêmes, le business plan est parfaitement rationnel.
L'offre de technologie par les firmes peut aussi être liée à des bifurcations de leurs stratégies. L'abandon par les Laboratoires Bell du système d'exploitation Unix aux universitaires s'explique par une obligation légale faite à leur maison-mère AT&T d'abandonner le secteur du logiciel. Le passage du code de Netscape Navigator sous licence libre, qui fut à l'origine du projet Mozilla, fut une réponse de Netscape à l'abus de position dominante constitué par l'intégration d'Internet Explorer à Windows 95 par Microsoft.
Mais, généralement quand les firmes offrent leurs compétences et leurs technologies à des partenaires ou à des communautés, c'est dans l'intention d'en retirer un profit à moyen terme :
soit en facilitant la réussite d'un projet collectif d'innovation dont elles finiront par tirer profit. Cela est d'autant plus vrai qu'elles auront eu un rôle leader dans cette réussite et se seront construit au passage une image positive ;
soit parce qu'ainsi, elles confortent la suprématie des solutions techno-économiques qu'elles maîtrisent.
Il n'est pas rare de voir des leaders offrir leur technologie à leurs principaux concurrents pour éviter une modification du paradigme technologique qui les a fait rois. Nous sommes là dans la logique du dominant design, étudié dès 1975 par Utterback and Abernathy[3].
La conception de nouveaux produits, comme leur production, étant marquée par la multiplication des interactions et la modularité, il est aujourd'hui pertinent de développer, en particulier dans les industries et les services high tech, des stratégies complexes de propriété intellectuelle : association de briques libres, de briques partagées et de briques propriétaires, la maîtrise de certains modules et/ou des interfaces pouvant suffire à la maîtrise des nouveaux produits et des nouveaux procédés.