Environnement économique et social
CoursOutils transverses

La responsabilité sociale de l'entreprise et développement durable

a) Le gouvernement d'entreprise

• Aspects théoriques

La question du gouvernement d'entreprise (corporate gouvernance) a été posée dès la fin des années soixante-dix par la théorie de l'agence. Cette théorie, avec notamment des auteurs comme Ross, Fama et Jensen, est une théorie de l'entreprise vue comme un réseau de contrats. Les contrats expliquent comment fonctionne l'entreprise car tous les individus sont reliés les uns aux autres par des contrats (actionnaires/dirigeants, salariés/dirigeants, entreprise/fournisseurs...). La structure des contrats explique le type de structure de l'entreprise, son fonctionnement et son efficacité. Seules subsisteront les entreprises dont le réseau de contrats est le plus efficace.

L'élaboration de tout contrat pose des problèmes d'information (dite asymétrique) et génère des coûts de suivi, d'autant que la théorie fait l'hypothèse de rationalité des comportements : les individus, qualifiés d'opportunistes, chercheront à tirer profit des termes du contrat. Appliquée à la relation entre dirigeants et actionnaires, la théorie de l'agence va repérer les sources de conflits entre les deux parties, les problèmes de gestion qui en découlent et proposer des solutions qui vont généralement dans un sens plus favorable aux actionnaires.

L'article Le gouvernement de l'entreprise détaille, dans un premier temps, les aspects théoriques de la relation d'agence entre dirigeants et actionnaires et montre, dans un second temps, comment cette relation a évolué ces deux dernières décennies avec la modification de la composition de l'actionnariat des grandes entreprises.

• Le gouvernement d'entreprise sur le devant de la scène en 2002

L'année 2002 a été particulièrement chargée en scandales de gestion d'entreprise : pratiques frauduleuses, malversations financières, falsifications des comptes conduisant à la condamnation de dirigeants ou cabinets d'audit et à la faillite d'entreprises. Parmi les nombreuses affaires, rappelons les cas :

- Enron : le courtier américain en énergie, première entreprise mondiale de son secteur et septième entreprise américaine, est en faillite en décembre 2001. Les comptes étaient manipulés avec la complicité des banquiers, avocats et du cabinet d'audit Andersen.

- Andersen : le cabinet est reconnu coupable d'obstruction à la justice pour avoir détruits des milliers de documents relatifs à Enron. Le cabinet disparaît en juin, ses activités étant partagées entre ses concurrents.

- Merrill Lynch : pour éviter de comparaître devant la justice pour conflits d'intérêts, la première banque d'affaires américaine accepte en mai de payer 100 millions de dollars et de modifier son organisation.

- Worldcom : irrégularités comptables découvertes en juin chez ce deuxième groupe américain de télécommunications et portant sur 9 milliards de dollars. En faillite en juillet.

- Xerox : reconnaît en juin avoir surévalué de plus de 6 milliards de dollars son chiffre d'affaires et de 1,4 milliards son résultat entre 1997 et 2001.

- Vivendi Universal : limogeage de Jean-Marie Messier pour non sincérité des comptes (notamment sur l'état d'endettement de la société) et poursuites judiciaires engagées à l'encontre de la société en octobre.

Ces affaires se sont accompagnées de révélations sur les pratiques de rémunération des dirigeants, notamment par le mécanisme des stocks-options (cf. encadré suivant) qui ont choqué le grand public et accentué le malaise.

Mécanisme et dérives des stock-options

C'est un droit accordé à un salarié d'acheter à terme des actions de son entreprise à un prix et au cours d'une période déterminés à l'avance. Si, au cours de la période, le cours de l'action dépasse le prix fixé à l'avance, le salarié exerce son droit. En revendant simultanément les actions acquises, le salarié n'a pas à financer l'achat et perçoit la différence entre prix d'achat et prix de vente. Si le cours des actions baisse sous le prix fixé à l'avance, le salarié n'est pas tenu d'exercer son droit.

A l'origine, les stock-options constituent un mécanisme incitatif envers les dirigeants et au profit des actionnaires : ils sont incités en principe à déployer davantage d'efforts en vue d'accroître les bénéfices de l'entreprise et donc la valeur des actions. C'est ce qu'on a appelé la “création de valeur” (sous-entendue “actionnariale” et à ne pas confondre avec la valeur ajoutée).

Les sommes perçues par les dirigeants sont devenues énormes et pour le moins choquantes. Ainsi, l'exercice des stock-options et les gains en attribution d'actions à la direction et aux 140 principaux cadres d'Enron leur ont rapporté 435 millions de dollars en 2001, dont 34 millions au seul PDG (Le Monde du 9/07/02).

En France, la règle est que les actionnaires approuvent les stock-options octroyés aux dirigeants, ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis.

• Le capitalisme face à une crise majeure ?

Système économique dominant, voire dominateur, depuis la chute des économies de l'Est, le capitalisme traverse aujourd'hui une crise de confiance dont la première manifestation a été l'effondrement durable des marchés boursiers mondiaux. Les “affaires” qui ont ponctué la vie des entreprises et le monde financier et comptable depuis 2002 ne sont pas des nouveautés (cf. les délits d'initiés dans les années 80). Toutefois, leur ampleur amène à des constats qui pourraient déboucher à terme sur une remise en cause du fonctionnement actuel du système :

- L'excès de déréglementation. La déréglementation est désignée comme l'une des causes de la multiplication des pratiques frauduleuses du fait de la marge de liberté accrue donnée aux acteurs alors que celle des instances de contrôle s'est réduite. La question d'une déréglementation excessive se pose d'autant plus que les marchés financiers sont mondialisés.

- Le “court termisme” et la course à la création de valeur. La plus grande facilité avec laquelle les acteurs financiers achètent et vendent les actions des entreprises, l'influence grandissante des fonds de pension qui demandent des taux de rémunération exagérés au regard des normes habituelles et, de façon générale, la recherche de gains rapides font peser sur les directions des entreprises des obligations de résultats à court terme. En outre, les licenciements de salariés ont été de plus en plus perçus comme le moyen simple de générer des profits supplémentaires. Là encore, de telles pratiques ont choqué l'opinion publique (on se souvient par exemple de la décision de Michelin en 1999 de licencier alors que l'entreprise venait d'accroître ses bénéfices).

- L'impossibilité du marché à s'autoréguler. Les pratiques des entreprises mettent à mal le discours de l'idéologie libérale dominante depuis la fin des années 70. Elles amènent à s'interroger sur les bienfaits de la déréglementation, de la mondialisation et sur la pertinence de la construction théorique néo-classique : le marché peut-il vraiment s'autoréguler ? Les intérêts individuels convergent-ils nécessairement vers l'intérêt général ? Le secteur privée est-elle vraiment plus efficace que le secteur public ?

- Le mythe du dirigeant “sur-doué” ébranlé. Depuis Fayol (1916), le mythe du dirigeant sur-doué s'est largement répandu dans la société. Fayol s'est demandé le premier quelle devait être l'activité du bon gestionnaire. C'est le fameux “PODC” : Prévoir (c'est la composante essentielle : définir ce qu'on appelle aujourd'hui la stratégie), Organiser (définir les tâches et les responsabilités de chacun), Diriger (c'est l'art du commandement), Contrôler (tout en Coordonnant). Pour Fayol, cela suppose aussi des qualités personnelles de la part du dirigeant (je cite Fayol) :

- physiques (santé et vigueur)

- mentales (capacité de comprendre et de jugement)

- morales (loyauté, tact, fermeté, initiative, sens des responsabilités)

- d'éducation (connaissances et culture générales)

- techniques (connaissances spécifiques)

- d'expérience (acquises sur le terrain)

Plus tard, au début des années 80, Mintzberg va insister, dans la lignée de Fayol, sur les qualités personnelles du dirigeant comme facteur essentiel d'une bonne gestion et notamment sur les qualités de communication. Mintzberg souligne également que les qualités requises pour être gestionnaire sont innées (c'est la théorie du manager surdoué) : on est – et on naît – bon gestionnaire ou pas... Cette représentation d'un être exceptionnel, extra-ordinaire, hors du commun, constitue sans doute la base de la légitimité sociale du dirigeant. Ce mythe ébranlé, c'est toute la place du dirigeant dans la société qui est remise en cause.

Au final, la société s'interroge de plus en plus sur les fondements du capitalisme et une crise de confiance s'installe qui interpelle les acteurs concernés et les pouvoirs publics.

• Les réponses et régulations apportées

Aux Etats-Unis, la loi Sarbanes-Oxley (ou SOX) a été adoptée en 2002 et impose à toutes les entreprises cotées aux Etats-Unis (américaines et étrangères), de présenter à la Commission américaine des opérations de bourse des comptes certifiés personnellement par leur dirigeant. Les dirigeants sont pénalement responsables des comptes publiés. Les auditeurs (commissaires aux comptes) sont rendus plus indépendants afin de réduire les conflits d'intérêt et les pressions.

En France, le MEDEF et l'AFEP (Association française des entreprises privées) ont demandé en avril 2002 à Daniel Bouton, président de la Société Générale, d'examiner le fonctionnement des organes de direction des entreprises cotées et la qualité de l'information financière. Déjà dans le passé, le MEDEF s'est interrogé sur les problèmes de gouvernance d'entreprise (Rapports Vienot I et II de 1995 et 1999). Le rapport Bouton a inspiré la loi de sécurité financière (LSF) de juillet 2003 applicable à toutes les sociétés anonymes et aux sociétés faisant appel à l'épargne publique. Comme la loi américaine Sarbanes-Oxley, la loi de sécurité financière repose sur la responsabilité accrue des dirigeants, le renforcement du contrôle interne, la prévention des sources de conflits d'intérêt.

Toujours en France, et en 2003 également, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a été instaurée. L'AMF est issue de la fusion de la Commission des opérations de bourse (COB), du Conseil des marchés financiers (CMF) et du Conseil de discipline de la gestion financière (CDGF). C'est un organisme public indépendant, doté de la personnalité morale et disposant d'une autonomie financière, qui a pour missions de veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers, à l'information des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers. L'AMF réglemente, autorise, surveille et sanctionne (voir le site de l'AMF http://www.amf-france.org pour plus de détails et l'accès aux rapports annuels de l'AMF sur le gouvernement d'entreprise et le contrôle interne).

b) Le développement durable

L'entreprise est en société avons-nous fait remarquer au début de ce cours. La question de la légitimité de l'entreprise n'est pas nouvelle (cf. les critiques déjà adressées aux firmes multinationales au début des années 70). Au cours des années 80-90, le thème de la responsabilité sociale a resurgi en force, alors même que l'entreprise était réhabilitée et légitimée dans son rôle de créatrice d'emploi et de valeur ajoutée.

Le véritable débat – que l'on parle d'éthique, de responsabilité sociale, de gouvernement d'entreprise ou de développement durable – est celui de la place de l'entreprise dans la société. Jusqu'où peut-elle aller ? Quels doivent être ses droits et ses devoirs envers la société ? Voir ainsi l'article Vous avez dit éthique ?

Comme toute organisation, l'entreprise doit être reconnue et acceptée a mimima par la société pour que son activité et ses produits le soient également. Ce qui est intéressant dans la période actuelle, c'est la convergence des problématiques des organisations publiques et privées. En effet, le déficit de légitimité des entreprises privées survient après celui des organisations publiques (accusées de gaspillage de l'argent des contribuables, d'un manque d'efficacité et de lourdeur d'adaptation). Autrement dit, la société devient méfiante, voire demande des comptes, et s'interroge sur la place des organisations créatrices et/ou redistributrices de richesses.

Comme on vient de le dire, le thème de la responsabilité sociale n'est pas nouveau. Dans le passé, on a vu des débats et des engagements des entreprises au sujet de l'éthique, l'employabilité des salariés par la formation, le reclassement de salariés licenciés, l'essaimage (soutien aux créateurs d'entreprise), l'emploi de personnes handicapées ou exclues socialement, la lutte contre la discrimination entre les sexes, la protection de l'environnement... La nouveauté réside dans le thème en vogue à l'heure actuelle : le développement durable. D'où le vocable désormais utilisé qui réunit la responsabilité sociale et le développement durable : RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale).

Ce thème du développement durable a été lancé en 1987 par Madame le premier ministre de Norvège, Gro Harlem Brundtland, lors d'un rapport aux Nations-Unies. L'idée était de réfléchir à des stratégies environnementales à long terme, pour que la planète puisse se développer durablement. Les entreprises ont dernièrement affiché leur intérêt pour ce thème en élargissant son contenu. C'est pourquoi derrière le terme, outre la protection de l'environnement, on trouve également des préoccupations sociales ou en faveur des pays les moins avancés ou émergents.

La RSE est devenue un véritable espace de communication pour les entreprises. D'ailleurs, la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques (dite loi NRE) fait obligation aux sociétés, dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, de rendre compte dans leur rapport de gestion de la manière dont elles prennent en compte les conséquences environnementales et sociales de leur activité (article 225-102). La France est le premier pays à avoir ainsi imposé aux entreprises cotées un rapport sur leur manière d'assumer leurs responsabilités sociales et environnementales. Mais il n'est pas prévu de véritable sanction en cas de non- application de cet article...

Evidemment, bon nombre d'observateurs émettent des doutes quant à la sincérité de la démarche des entreprises (voir ainsi l'article Les bons principes ne survivent jamais... du sociologue Michel Villette). Il est vrai aussi que nous n'en sommes qu'au début d'un processus de codification des pratiques des entreprises. Les grandes entreprises sont sous surveillance et de multiples acteurs scrutent leurs pratiques de RSE, comme les désormais nombreuses agences de notation et d'évaluation des performances sociales et environnementales (associations, fondations mais aussi cabinets-conseils).

Les Etats devraient également légiférer de façon plus importante à l'avenir, à l'exemple du cas français avec le « Grenelle de l'environnement ». Initiée en 2007, rassemblant l'Etat, les collectivités territoriales, les organisations patronales et syndicales et des ONG, et portant sur les thèmes du changement climatique et de l'énergie, de la biodiversité et des ressources naturelles, de la santé et de l'environnement, des modes de production et de consommation durables, de la démocratie écologique, des modes de développement écologique et de l'emploi et la compétitivité, cette démarche devrait aboutir à une loi-cadre votée par le Parlement.

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