Environnement économique et social
CoursOutils transverses

L'environnement dans la stratégie d'entreprise : théories et outils d'analyse

a) Les conceptualisations de l'environnement

La question de l'adaptation de l'entreprise à son environnement a été conceptualisée avec le développement de la pensée stratégique et plus particulièrement au moment de la phase du diagnostic stratégique. La stratégie d'entreprise apparaît en tant que discipline des sciences de gestion qu'au milieu des années soixante, c'est pourquoi la plupart des outils d'analyse sont finalement récents. Trois grandes conceptions de l'environnement de l'entreprise émergent au cours de la réflexion. La première considère l'environnement comme un facteur exogène auquel l'entreprise peut s'adapter par des actions appropriées (par une stratégie adaptée) et a donné lieu aux principaux outils d'analyse de l'environnement. La seconde, dans une perspective darwinienne, voit l'environnement comme un facteur contraignant qu'il est impossible de maîtriser et de gérer. La troisième considère les relations entre les organisations et leur environnement comme un éco-système qu'il faut gérer.

• L'environnement comme variable exogène analysable

Dans la lignée de l'école classique de la gestion – avec Taylor et Fayol (début du XXe s.) – l'entreprise est vue comme une organisation qu'il est possible de piloter à l'aide d'outils ou d'instruments de gestion, élaborés dans le cadre d'une démarche rationnelle. Sur le plan externe, l'entreprise doit faire preuve de capacités d'adaptation à son environnement. Plusieurs outils ou modèles d'analyse ont successivement été développés.

Jusqu'au milieu du XXe s., la gestion s'inspire de la stratégie militaire et l'environnement est vu comme un champ de bataille, avec des concurrents qu'il faut dominer à défaut de les éliminer.

L'environnement se limite aux marchés de l'entreprise et le marketing constitue l'arme stratégique majeure. A ce titre, le cycle de vie du produit constitue un modèle d'analyse du marché qui, en fonction des différentes phases – lancement, croissance, maturité, déclin – énonce un certain nombre de prescriptions stratégiques à suivre.

Au milieu des années 60, la pensée en stratégie d'entreprise émerge à Harvard avec notamment le modèle de formulation stratégique LCAG. Ce modèle propose un diagnostic de l'environnement en termes d'opportunités/menaces qu'approfondira plus tard la matrice SWOT. Il invite également à retenir les notions de responsabilité sociale et de valeurs des dirigeants dans le choix d'une stratégie, aspects encore d'actualité.

Au début des années 70, les matrices de portefeuille (élaborées par les cabinets de conseil Boston Consulting Group, Mac Kinsey, A.D. Little) offrent une grille d'analyse de l'environnement qui s'inspirent du modèle du cycle de vie. Toutefois, la notion d'environnement s'élargit avec la prise en compte des aspects sociaux, politiques, technologiques (notamment avec la matrice de Mac Kinsey).

La crise de 74-75 met fin aux “Trente Glorieuses” et l'environnement, auparavant certain et peu complexe, devient de plus en plus incertain et complexe. Les dirigeants d'entreprise sont désemparés devant cette “turbulence” de l'environnement. La compréhension des évolutions de l'environnement devient alors un gage de survie de l'entreprise. Deux principaux outils d'analyse sont proposés au début des années 80 : la matrice des industries du BCG et la dynamique des cinq forces concurrentielles de l'universitaire M. Porter.

• L'environnement comme variable contraignante et surdéterminante

Deux auteurs, Hannan et Freeman (1977) sont à l'origine de l'école de l'écologie des populations. Ils se demandent pourquoi il existe plusieurs espèces d'organisation (ou types d'entreprise) et comment elles apparaissent et meurent. Ces auteurs s'inspirent du darwinisme. L'environnement est hostile et doté de ressources rares : les entreprises cherchent sans cesse à capter ces ressources pour leur survie et, ce qui complique encore plus la tâche, dans un contexte de concurrence. C'est donc la capacité à trouver la forme organisationnelle qui captera un flux de ressources suffisant qui déterminera la survie ou la mort des entreprises. Pour chaque type d'environnement, à long terme, il ne peut subsister qu'un seul type d'entreprise car il n'y a qu'une seule forme d'organisation possible compatible.

Mais des variations se produisent sans cesse et elles expliquent l'évolution des espèces d'entreprise.

La première cause de variation est que certaines organisations se transforment et trouvent une structure mieux adaptée à l'environnement (par hasard ou par apprentissage). Les organisations qui n'évoluent pas se trouveront alors dépassées et condamnées. La deuxième cause de variation est une modification de l'environnement (innovation, nouveaux besoins...). Cette variation de l'environnement génère une ou plusieurs espèces nouvelles d'entreprise. La nouvelle espèce la mieux adaptée survivra et prendra la place de l'ancienne espèce. En bref, les entreprises sont soumises au processus brutal et implacable de la sélection naturelle.

Le point essentiel que développe cette école est que les entreprises n'ont qu'une capacité limitée d'adaptation à l'environnement. Les choix des gestionnaires n'ont que peu d'impact sur le devenir de l'organisation et le rôle de la stratégie est réduit à néant. De plus, il existe une inertie interne qui freine les tentatives d'adaptation : taille de l'organisation, importance des investissements réalisés, résistances des individus au changement, information imparfaite des dirigeants sur fonctionnement interne et sur les évolutions de l'environnement... Au final, ce sera toujours l'environnement qui en dernière instance, et par le jeu de la sélection, choisira les organisations qui survivront. Les dirigeants n'ont pas d'impact sur le devenir de l'entreprise ; il n'ont qu'un rôle symbolique qui consiste à persuader les différents publics (salariés, actionnaires, clients...) que l'entreprise est bien gérée...

• L'environnement comme éco-système

Avec l'école de l'écologie des organisations, d'autres auteurs comme Trist (1976) ou Astley et Van de Ven (1983) ont une vue plus mesurée que les précédents sur le rôle de l'environnement, ce qui permet de réhabiliter quelque peu le rôle des dirigeants. D'une part, l'environnement n'est pas considéré comme une variable indépendante, sur-déterminante, face à laquelle les organisations doivent s'adapter ou mourir. En fait, l'environnement et les organisations sont en perpétuelle relation et forment un éco-système. Il existe des effets de rétro-action : l'environnement contraint les organisations et les organisations modifient en retour l'environnement. C'est un processus incessant de co-détermination (l'environnement n'est pas exogène aux organisations). Le problème de l'adaptation est alors posé de façon nouvelle : il ne se pose pas ponctuellement (les variations ne sont pas ponctuelles) mais constamment : l'organisation doit certes s'adapter au présent mais elle doit aussi se préparer aux futurs possibles. Cette capacité à préparer le changement, qui dépend de la direction de l'entreprise, déterminera la survie de l'organisation.

D'autre part, la conception d'un environnement hostile où règne la concurrence est également considérée comme réductrice de la réalité. Les ressources peuvent être abondantes et surtout, les organisations peuvent développer des stratégies de coopération. La collaboration est justement une réponse à la complexité et à l'incertitude de l'environnement. Certains, comme Trist, estiment qu'il faut stimuler cette coopération entre organisations confrontées aux mêmes problèmes. Cela permettrait construire l'avenir de façon commune et d'éviter la multiplication d'actions individuelles et concurrentes menaçant l'équilibre de l'éco-système des organisations (pollution, secteurs industriels en crise, etc.).

Cette école a donné naissance à ce qu'on appelle désormais l'éco-management : gérer l'entreprise afin de la mettre en adéquation avec son éco-système. La responsabilité sociale de l'entreprise est réaffirmée : préserver ou ne pas mettre en danger son environnement (physique, social, culturel...).

b) Nouvelle théorie de l'entreprise et nouvelle vision de l'environnement

• L'analyse fondée sur les ressources internes

Depuis le début des années 90, une nouvelle théorie de l'entreprise émerge en sciences de gestion et dénommée resource based analysis (RBA) ou resource based view (RBV). Cette théorie des ressources internes provient à l'origine des travaux de deux économistes américains, Nelson et Winter (1982) qui proposent une autre façon de voir l'entreprise en se centrant sur le facteur humain et sur un facteur de production oublié : le savoir. Ce qui fait la force d'une entreprise, son efficacité, sa compétitivité, sa réactivité face à l'environnement, c'est la façon dont elle combine les savoirs et les savoir-faire des individus qui la compose. Autrement dit, l'entreprise est avant tout un assemblage de compétences et chaque entreprise est donc unique. Si ces compétences sont bien assemblées, l'entreprise sera performante. Sur le long terme, la succession des assemblages de compétences (et leur efficacité) détermine l'évolution et la trajectoire (et la survie) de l'entreprise, d'où le nom de théorie évolutionniste de l'entreprise pour qualifier cette nouvelle conception.

Deux auteurs américains, Hamel et Prahalad, vont développer cette vision en gestion (1990) qui prendra le nom de RBV ou RBA. L'entreprise est ainsi définie comme un assemblage de pôles de compétences. Un pôle de compétences est défini, je cite les auteurs, “comme un apprentissage collectif dans la coordination des compétences technologiques avec les compétences en organisation du travail et en communication”. La performance d'une entreprise dépendra de sa capacité à assembler/coordonner des compétences diverses (et chaque entreprise sera donc unique, même si elle dispose des mêmes ressources que les autres). Sa survie dépendra de sa faculté à acquérir, transférer, exploiter de nouveaux savoirs et savoir-faire. Ce qui est original, c'est de dire que l'entreprise est capable d'apprendre (de nouveaux savoirs et à assembler ces savoirs). On parle alors d'entreprise apprenante ou d'entreprise intelligente. Par ce processus d'apprentissage, l'entreprise sera capable de s'auto-organiser et de s'adapter à toutes les évolutions de son environnement. Cette idée d'auto-organisation vient de la théorie des systèmes et plus particulièrement de la théorie du chaos.

Comment faire ? Il faut que les individus apprennent à construire collectivement les pôles de compétence, ce qui implique qu'ils partagent leurs savoirs et savoir-faire et apprennent les uns des autres. Ce processus est appelé apprentissage organisationnel par les uns et gestion des connaissances ou knowledge management par les autres.

• L'environnement dans la stratégie : du strategic fit au strategic intent

Hormis la vision de l'éco-management, les analyses de l'environnement ont été jusqu'ici fondées sur une séparation de l'environnement et de l'entreprise. L'idée dominante, et développée par les différents outils d'analyse, est celle d'un comportement d'adaptation ou de réaction de l'entreprise à son environnement. Il s'agit de réduire constamment l'écart stratégique (strategic fit) entre l'évolution de l'entreprise et les évolutions de l'environnement. L'entreprise est ainsi dans une logique d'ajustement qui consiste à choisir le bon positionnement concurrentiel. Le décryptage des évolutions de l'environnement est alors essentiel dans la formulation de la stratégie.

Avec la théorie des ressources internes, le comportement de l'entreprise doit être un comportement proactif : il s'agit d'anticiper les évolutions de l'environnement et, surtout, de le modifier à son avantage. Le point de départ de l'analyse n'est plus celui d'un écart qu'il faut réduire mais celui d'une volonté ou intention stratégique (strategic intent) de la part des dirigeants. L'idée est de développer des compétences organisationnelles ou collectives qui donneront à l'entreprise des marges d'action sur son environnement. L'analyse de l'environnement devient à la limite secondaire.

L'enjeu est d'exploiter les ressources internes de l'entreprise (matérielles, financières mais surtout humaines et organisationnelles) et de les assembler sans cesse en vue de développer de nouvelles compétences qui pourront difficilement être imitées par les concurrents. Autrement dit, l'enrichissement et l'exploitation du patrimoine des compétences internes seront sources d'avantages concurrentiels et devront permettre à l'entreprise de maîtriser l'environnement voire de le construire à son avantage.

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