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Altadis : le cas

Altadis : le cas

« Sources : Pendaries M., « Altadis & le management de projet OPTIM », http://michel.pendaries.pagesperso-orange.fr ; Charreire S. & Perret V., « Altadis et le management du projet OPTIM », cas de la CCMP, CCI Paris ; Site officiel d'Altadis ; L'Expansion, « La Seita prépare la fin du monopole », 19/11/1998 »

Remarque

Les noms des personnes ont été changés pour conserver l'anonymat.

Le groupe Altadis né en 1999 de la fusion de la Seita et de son homologue espagnol Tabaccalera. La Seita reste un nom connu en France pour, outre ses marques produites, le monopole que l'entreprise détenait sur la distribution des cigarettes et cigares vendus sur tout le territoire. La privatisation de cette entreprise publique en 1995, puis la fin de son monopole quelques temps après, l'expose pleinement à la concurrence internationale des grands noms de l'industrie du tabac comme Philip Morris ou British American Tobacco. Cette fusion avec Tabaccalera cherche à créer des synergies afin d'assurer compétitivité mondiale du groupe ainsi créé. Le plan « Performances 2001 » vise à accroître l'excédent brut d'exploitation (EBE) de 50 % et à doubler la rentabilité du groupe. Dans cette quête de performance, Altadis lance le projet OPTIM avec comme ambition d'uniformiser la logistique et le système d'information via l'implémentation, dans ses différents sites, d'un même Progiciel de Gestion Intégré (ERP).

Les objectifs assignés à OPTIM

1. Disposer d'une application unique permettant aux 8 DRD (Directions Régionales de Distributions) de traiter de manière homogène l'ensemble des processus de gestion (depuis la commande jusqu'à la livraison),

2. automatiser la gestion du ¾ des commandes,

3. diminuer les délais de livraison au lendemain de la commande

4. réduire les stocks des DRD de 10% en valeur.

Pour la première fois, on décide que cette solution informatique doit impliquer le minimum de développements faits en interne et doit, au contraire, recourir au maximum à des solutions standards du marché. A l'époque, ce choix fut perçu comme en décalage avec la culture de l'entreprise...

Les origines de la décision d'un ERP

Par le passé, des projets comparables à OPTIM (comme SEICA ou RAID), avaient été lancés et s'étaient soldés par un échec couteux pour la SEITA. Toutefois, séduite par la mise en place d'un ERP, l'entreprise avait conduit en 1996 une analyse comparative des deux solutions les plus répandues dans le secteur industriel : SAP et Oracle. Il ressortait du rapport que les deux progiciels étaient équivalents en termes de coûts comme en termes d'avantages et d'inconvénients. Le DSI (Directeur du Système d'Information), nommé directeur du projet OPTIM, était favorable à la solution SAP, notamment du fait que l'éditeur était le leader dans l'industrie du tabac. En revanche, le directeur financier argumenta en faveur d'Oracle du fait que leur module comptabilité était déjà implémenté et utilisé par son service. C'est finalement cette seconde solution qui sera retenue par la direction d'Altadis.

Le développement du projet

L'équipe projet qui est mise en place est co-dirigée par un ingénieur informatique et un gestionnaire diplômé d'une ESC ayant une profonde expertise de la gestion courante des DRD. Avec un budget fixé à 7 millions d'euros, cette direction « bicéphale » va gérer une équipe de 10 informaticiens et de 10 utilisateurs clés (« key users ») destinés à effectuer les différents tests de l'ERP. Ce groupe d'utilisateurs comprend des cadres et des agents de maîtrise. Cette mixité n'est pas à l'époque sans surprendre et choquer vue la structure hiérarchique très verticale de la société...

L'analyse détaillée des besoins est conduite sur trois mois par un cabinet de conseil externe. Les employés et utilisateurs qui sont alors sollicités vivent cette phase préliminaire comme une forte pression sur leur implication au projet. Malgré tout, le cahier des charges est validé et un appel d'offres est lancé dès avril 1999. Parmi les différentes propositions commerciales reçues, c'est l'intégrateur Unilog qui remporte le marché pour un montant de 2,25 millions d'euros.

Jusqu'à la fin de l'année 1999, Unilog va alors s'attacher à expliciter aux différents acteurs d'Altadis comment les processus de gestion s'opèrent sous Oracle. L'enjeu principal de cette étape est d'identifier les modifications organisationnelles à opérer au sein de l'entreprise pour « coller à l'outil » (au risque de s'éloigner des besoins exprimés par les utilisateurs) ou, au contraire, les processus nécessitant que des développements informatiques soient effectués pour que le système d'information puisse « coller à l'organisation » (au risque de s'éloigner de la logique de standardisation des processus souhaitée par la direction). Ces arbitrages sont effectués par les deux co-pilotes au cas par cas. Ils privilégieront malgré tout le second choix en considérant que l'entreprise n'avaient pas plus de spécificités (sur le plan organisationnel, culturel ou technique) que ses concurrents qui eux avaient réussi à implémenter un ERP en version standard.

La phase de réalisation

Cette phase durera 6 mois (jusqu'en mai 2000). Le groupe d'informaticiens de l'équipe projet développent les spécifications définies, effectue l'ensemble des paramétrages et des opérations techniques liées à l'implémentation d'Oracle. En parallèle, les « utilisateurs clés » font le recettage de l'application en procédant à une batterie de tests. Pour autant, ces derniers éprouvent alors des difficultés à imaginer et concevoir l'ensemble des tests qui gagneraient à être effectués avec un progiciel dont le périmètre fonctionnel, aussi large que complexe, dépasse leur cœur de métier. Ils prennent un retard qui endigue alors le travail des informaticiens et des tensions apparaissent entre les deux groupes d'employés. Les chefs de projet doivent intervenir plusieurs fois pour calmer le jeu.

Le lancement

Tant bien que mal, en mai 2000, la phase de développement informatique se termine et l'ERP doit maintenant être implémenté. La DRD de Paris-Est est choisie pour effectuer un « démarrage à blanc ». On opère celui-ci le 14 juillet 2000 et il en ressort plusieurs dysfonctionnements nécessitant des corrections et un re-paramétrage de l'outil. L'équipe projet est forcée de repousser la date du lancement officiel de l'ERP. Les rectifications ont lieu durant la période estivale et le 26 août un nouveau « démarrage à blanc » est effectué. Des dysfonctionnements résident là encore et les deux co-pilotes d'OPTIM considèrent que la solution ne tourne « qu'à 95% ». Malgré tout, ils décident de ne pas reporter une fois de plus le lancement officiel. Le week-end du 9 septembre 2000, l'ancien système d'information de la DRD Paris-Est est désactivé et Oracle entre en activité. Les chefs de projets félicitent alors leur équipe pour le travail accompli et leur offre même le champagne...

Dès le lundi 11 septembre au matin, l'activité de la DRD se dégrade. Le service des ventes ne parvient pas à traiter dans des temps satisfaisant le volume des commandes reçues quotidiennement sur l'ensemble de son territoire. A 15h45, seule une demi-journée de commande a pu être préparée et le personnel, comme à l'accoutumée, quitte le site. Ceci se reproduit le lendemain et les bureaux de tabac se retrouvent en rupture de stock sur les marques de cigarettes les plus demandées. Un arrêt complet de la DRD de Paris-Est est décidé le mercredi pendant 24 heures. Mais, ce court temps d'arrêt ne permet pas d'identifier l'origine du problème. Effectivement, les deux co-pilotes du projet d'OPTIM ne peuvent pas trop s'appuyer sur l'aide de la direction locale de la DRD ni même sur ses employés... En effet, en avril 2000, la direction générale d'Altadis avait permuté tous les directeurs des 8 DRD. Le directeur nommé sur le site de Paris-Est, âgé de plus de 50 ans, a mal vécu cette mutation supplémentaire. Il était en arrêt maladie jusqu'en fin juin puis en congés en juillet. Ainsi, lorsque l'ERP est implanté le 9 septembre, il n'a encore qu'une très faible connaissance de sa DRD. Son directeur adjoint, lui aussi, est arrêté pour raison de santé jusqu'en novembre. De plus, sur les 4 agents de maîtrise que compte normalement l'équipe d'encadrement d'une DRD, 2 sont absents : l'un vient d'être licencié, l'autre a été mobilisé à temps plein sur le projet OPTIM n'a pas encore été remplacé. En ce qui concerne maintenant les opérationnels, avec OPTIM, les équipes de caristes ont été réduites de 8 à 7 caristes... Dès les dérapages du 11 septembre ils se déclarent mobilisés par des tâches d'inventaire et de rangement du site et ne peuvent accorder du temps pour aider à réparer le système.

Les deux co-pilotes sont alors contraints de travailler non stop la journée comme la nuit (jusqu'à 4h du matin). Durant la journée, ils analysent la situation organisationnelle, logistique et informatique pour identifier la source du blocage. Durant la nuit, ils vont même jusqu'à faire le travail des caristes dans l'entrepôt (stocker, déstocker, arranger les palettes) pour qu'un minimum de livraisons puissent être effectué le lendemain. Plusieurs semaines auront été nécessaires avant que l'équipe projet ne parvienne à identifier l'origine du problème et fasse la part des choses entre les problèmes techniques et les problèmes humains.

La gestion des flux dans une DRD est complexe et dépend fortement de l'expertise terrain des caristes : ils manipulent plusieurs centaines de palettes par jour dont ils optimisent, sur le tas, le rangement dans de vaste entrepôts (souvent plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés sur plusieurs étages) afin de faciliter leur accès aux chariots élévateurs. Ainsi, c'est en moyenne 20% de la surface de l'entrepôt qui doit rester libre pour permettre à ces véhicules industriels de circuler et manœuvrer librement. Or, à Paris-Est, après le lancement d'OTIM, 99% de la surface de l'entrepôt a rapidement été occupée empêchant ainsi tout mouvement de palette supplémentaire... Des flux étaient enregistrés en informatique mais non opérés dans l'entrepôt ce qui empêchait au service vente d'honorer les commandes passées.

Résultats

Les corrections ont pu ensuite être conduites et les déploiements auprès des autres sites opérés tant bien que mal... Au final, le projet a accusé un retard d'une année avec un impact économique qui reste difficile à évaluer au regard des objectifs de performance initiaux qui avaient été fixés.

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