La négociation – les enseignements du jeu de l'ultimatum

L'aversion à l'iniquité

Face à une offre inéquitable, le sujet rationnel qui maximise son utilité et ne tient compte que de ses gains monétaires est censé accepter toute offre aussi faible soit elle. En revanche, un joueur peut manifester une « aversion à l'iniquité » qui implique, en suivant la définition de Fehr et Schmidt (1999)[1], que son utilité augmente avec ses propres gains mais qu'elle décroît lorsque les inégalités de gains entre les joueurs s'accroissent. Si le joueur prend en compte ses gains relatifs dans le jeu et que le partage lui est défavorable, son aversion à l'iniquité peut le conduire rationnellement à refuser cette offre. Le répondant peut préférer en effet une situation d'égalité dans laquelle aucun des joueurs ne gagne rien plutôt qu'une situation dans laquelle son gain relatif est faible. L'aversion à l'iniquité du répondant peut donc expliquer rationnellement le comportement de rejet.

L'aversion à l'iniquité a ainsi été introduite dans les nouveaux modèles de préférences sociales[2]. Voici une version simplifiée du modèle de Fehr et Schmidt (1999) dans laquelle on ne représente que l'interaction entre deux joueurs, Moi et l'Autre. Si on pose que xMoi et que xAutre correspondent aux gains des deux joueurs dans le jeu de l'ultimatum, ma fonction d'utilité peut s'écrire :

où α est un paramètre positif (que l'on suppose inférieur à l'unité).

  • Dans cette formulation, un individu rationnel se n'intéresserait qu'à son propre gain (xMoi) et négligerait celui de son partenaire (l'Autre) de telle façon que la valeur du paramètre α est égale à 0.

  • En revanche, dès lors que α > 0, un individu « pro social » subit par contre une baisse de son utilité lorsqu'il gagne davantage que son partenaire mais aussi lorsqu'il gagne moins (α > 0). Le paramètre exogène, α, est représentatif soit d'une « aversion à la culpabilité ou à la honte » – le sentiment de faire du tort à autrui lorsque l'on profite indument de son pouvoir de marché (xMoi > xAutre) – soit d'un « sentiment d'envie » – qui vous procure une désutilité lorsque l'autre gagne davantage (xAutre > xMoi). Une offre équitable peut ainsi être perçue comme le reflet d'un sentiment de culpabilité si l'on suppose que l'individu intègre dans sa fonction d'utilité (ou de satisfaction) l'écart entre ce qu'il gagne et ce que gagne autrui.

Complément

Dans cette modélisation, on intègre la préférence pour l'équité (ou l'aversion pour l'iniquité) en mobilisant la théorie des émotions (culpabilité, honte ou envie). C'est l'un des apports de ce modèle. On remarque cependant que l'introduction des émotions ne se fait que par l'intermédiaire d'un paramètre (α) qui est exogène, ce qui limite la portée de cette modélisation. La modélisation de Fehr et Schmidt (1999) néglige également le rôle crucial des intentions.

  1. A theory of Fairness, Competition, and Cooperation

    FEHR Ernst, SCHMIDT K. (1999), A theory of Fairness, Competition, and Cooperation, Quarterly Journal of Economics, (114).

  2. Advances in Behavioral Economics

    CAMERER C. F., LOEWENSTEIN G., RABIN M. (Eds.) (2004), Advances in Behavioral Economics, Princeton University Press, New York.

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