Trois raisons peuvent être avancées pour expliquer la dérive des dépenses de santé. Elles trouvent leur fondement dans la théorie économique.
La théorie de la demande induite. Le concept de demande induite correspond à l'influence de l'offre (incarné par le producteur de soins) sur la demande (incarnée par le patient) : plus l'offre augmente, c'est-à-dire plus le nombre de médecins ou d'hôpitaux augmentent, plus la demande de santé de la population croît. Plusieurs mécanismes sont en jeu et pourraient expliquer ce phénomène :
l'existence d'une forte densité médicale et hospitalière (existence de pôles d'attractivité selon les régions) est un appel direct à la consommation de soins,
une population de plus en plus informée et exigeante poussant à la prescription et la consommation,
mais paradoxalement, une population ignorante et peu sensible aux prix se laissant guider par le médecin qui tente d'assurer ses revenus et de ne pas perdre de clientèle. En effet, le médecin peut difficilement refuser un patient sous peine de voir le patient consulter un confrère. Les économistes de la santé considèrent que la France, du fait du système de paiement à l'acte, est d'avantage susceptible de rentrer dans ce modèle au regard de la concurrence existante entre professionnels de la santé qu'un pays où les médecins sont majoritairement salariés ou pays à la capitation. Cependant la validation de cette hypothèse sur le plan empirique n'est pas concluante. (http://www.senat.fr/rap/l03-424-1/l03-424-126.html). Les résultats obtenus dans les pays diffèrent. En France, une hausse de la densité médicale accroît les dépenses réelles de 1%. L'augmentation n'est que de 0.4% aux Pays-Bas. Il est vraisemblable que ces effets soient plus fortement marqués dans les pays où le mode de rémunération dominant des prestataires de soins est le paiement à l'acte pour lequel il n'existe pas de contrôle sur le volume des actes prescrits.
Par ailleurs, la relation entre patient et professionnel de santé est plutôt considérée comme un partenariat. Le partage de la décision résulte certes de la connaissance qu'a le médecin du domaine de la santé, mais aussi de la connaissance qu'a le patient de ses préférences vis-à-vis des conséquences des options de prise en charge. Ce « pouvoir accru » du patient s'est illustré depuis 1990 par plusieurs faits :
la loi Huriet-Sérusclat de 1998 relative au consentement éclairé des patients se prêtant à des recherches biomédicales
la charte du patient hospitalisé de 1995
le code de déontologie médicale réformé par décret en 1995
la loi du 4 mars 2002 relative aux Droits des malades et à la qualité du système de santé
le guide méthodologique d'information à l'intention des patients et des usagers de santé publié par la Haute Autorité de Santé en 2005.
Le risque moral : le risque d'aléa moral est du point de vue théorique la défaillance la plus communément citée dans le secteur de l'assurance. Le principe de ce concept est le suivant : dès lors qu'un individu est assuré, il est moins incité à éviter la survenue d'un accident ou d'une maladie du fait d'un recours moins fréquent au système de prévention. Ces individus peuvent également adopter un comportement plus à risque. Enfin, ils peuvent également avoir tendance à surconsommer des soins, se sachant couvert par l'assurance.
La difficile régulation par le marché. Dans la théorie économique, le marché est à même de mettre en œuvre les mécanismes qui assurent la compatibilité entre offre et demande dans le respect des normes imposées par la dynamique globale de croissance définie par la collectivité. Sur le marché, le prix varie en fonction de l'offre et de la demande (le prix d'un bien augmente lorsque sa demande est supérieure à son offre et diminue dans le cas contraire). Selon les économistes appartenant à l'école néo-classique, les économies de marché qui sont soumises à ce principe d'offre et de demande fonctionnent de façon harmonieuse. L'offre et la demande sont le résultat des offres et demandes individuels. Le marché trouve donc son équilibre par la simple rencontre des individus et répond au modèle de concurrence pure et parfaite, représentation idéale du système des marchés. Ce processus d'équilibre n'est cependant rendu possible que sous certaines conditions :
les individus sont rationnels, libres et parfaitement informés. Ils utilisent au mieux les ressources dont ils disposent, compte tenu des contraintes (notamment budgétaires) qu'ils subissent,
les entreprises sont en concurrence les unes avec les autres,
l'offre est une fonction strictement croissante du prix,
la demande croît avec l'utilité sociale du bien considéré.
Or, dans la pratique, le marché de la santé ne rempli pas à toutes ces conditions :
le patient est « ignorant » et ne peut juger du résultat associé à la consommation d'un produit de santé,
le marché est en situation de concurrence imparfaite en raison de la différenciation des produits, de la position de monopole géographique d'un grand nombre d'offreurs (souvent un seul CHU par région),
la demande de soins devient infinie dès lors que le pronostic vital est en jeu. Par ailleurs, le consommateur (le patient) ne supporte qu'une fraction limitée voire nulle du coût total des soins. Il est donc en partie insensible au niveau des prix des produits et services de santé.
en raison du caractère technique et du résultat différé de la prestation fournie, le patient n'a aucun moyen de porter un jugement sur la prestation qui lui est fournie, ce qui crée un phénomène de demande induite, en le rendant dépendant des experts médicaux.
En conséquence, le marché de la santé tend vers une dérive spontanée des dépenses. La régulation par le marché ne pouvant fonctionner correctement, d'autres modes de régulation sont donc nécessaires.